Auvergne laïque n° 485 - juillet 2020


EDITO

Péril en la Planète

Alain Bandiéra et le comité de rédaction

Après la terreur des attentats islamistes, le danger d'une pandémie plonge les hommes du monde entier dans la peur. A la faveur d'une  menace partagée, l'épidémie révèle l'universalité de l'humaine condition,  le bourgeois de l'île de France  frappé tout autant que le plus humble et le plus sauvage des arborigènes, sans le moindre indice de supériorité dont se targuent si souvent les hommes prétendument civilisés... Jamais la métaphore du fléau n'a été aussi bien appropriée à une situation comme  à celle que nous vivons  Dans les catacombes de l'Abbaye de La Chaise-Dieu, une fresque hallucinante surgit de l'obscurité pour nous rappeler  que la danse macabre ne suspend jamais son infernale cadence.  « je vois cette faucheuse... Â» pourrait encore s'écrier Victor Hugo,

Et voilà que la vie, voilà que la civilisation sont frappées de dérision par un organisme infiniment petit, invisible et embusqué, créature issue des mythes les plus diaboliques de la littérature fantastique ou des paraboles antiques. C'est pourquoi  un philosophe a pu assimiler  l'épidémie à la   manifestation  contemporaine du tragique.

L'épidémie en tout cas  échappe à toutes nos résistances ;  des humoristes ont bien tenté d'avancer quelques boutades, mais le cÅ“ur n'y était pas, et le sourire s'est crispé. Aucun adage ne parvient à illustre les ravages du virus, le malheur qu'il sème n'est bon à rien. Et c'est  à travers   la relecture de « la peste Â» que nous avons cherché la trace d'une signification et d'un espoir infime.

Les médias ont beaucoup parlé de « leçons à tirer Â» ; le virus pourtant n'est pas pédagogique et les hommes ont dû affronter des prises de conscience paradoxales. C'est ainsi qu'ils ont mesuré, à la faveur d'une solitude vite devenue pesante, ce qu'on peut appeler d'un titre de film « le goût des autres Â» ; ils ont mesuré le prix de l'amitié, l'importance de la famille, auxquelles ils se consacraient  de manière anodine dans la vie ordinaire ;  ils ont déploré la fin des rencontres amoureuses dont la vie s'agrémente, s'enrichit et se perpétue. Cruellement privées des rites que le deuil exige et dont il s'apaise, des familles entières se sont vues interdire d'assister aux  funérailles de leurs proches.

Mais en même temps, les hommes ont éprouvé,  dans des contraintes d'exiguité et de  proximité, le poids des institutions humaines : la fragilité du couple, la difficulté d'être parents dans la continuité, la recrudescence des violences intimes révélant que la barbarie demeure, dans les êtres humains, toujours à l'affût.

L'épidémie a désigné enfin  nos véritables héros, celles et ceux qui ont persévéré dans l'exercice de leurs tâches – de leurs missions – et ont permis à la vie de ne pas capituler entièrement. Parmi eux, tous les soignants certes, mais aussi – le fait est à souligner – les enseignants dont on a reconnu – enfin – les mérites et le rôle.

La laïcité – qui demeure une de nos préoccupations essentielles – est-elle de cette actualité-là, ou ses adversaires vont-ils une fois de plus dénoncer son archaïsme ? S'il est vrai que la propagation de la maladie est due, en France, à un rassemblement religieux, nous avons été épargnés des grandes hystéries médiévales censées conjurer les fléaux, et nous  nous réjouissons  que les religions n'aient pas brandi l'évidence d'un châtiment qui punirait les hommes de toutes leurs fautes. Certes, il est des pays où on n'a pas fermé les écoles, estimant que priver les enfants de l'enseignement du prophète était bien plus dangereux que de les exposer au virus. Qu'il nous soit permis de ne pas adhérer à cette préférence, de continuer à croire à la science et à la recherche et de résister aux tentations de l'obscurantisme. Dans un monde malmené, nous voulons que la laïcité conserve son  droit de cité afin de  maintenir  résolument les lumières de son règne pacifique.

De la vérité en temps de crise…

Pierre Miele, Cercle Condorcet, mai 2020

Le coronavirus a créé une situation brutale de grand trouble collectif ! Danger mondialisé, ennemi  invisible et à peine connu ; aucune communauté scientifique n’en a du moins  la maîtrise. Si le danger est un fait,  les cibles en sont incertaines, et  la population ignore les moyens de s’en protéger : force est de faire confiance… Mais à qui ? à quoi ?

Nous avons assisté à une avalanche médiatique de « vérités Â» péremptoires successives et de  consignes contradictoires, et deux événements ont été particulièrement marquants et démonstratifs en la matière :

- de la part de responsables nationaux  aux débuts de la pandémie,  le déni du danger et le refus d’avouer l’absence de masques et de moyens de test, dans le but de dissimuler des carences  ; cette attitude, au demeurant ridicule, qui n’est autre qu’une falsification des faits, est grave et ne peut que renforcer la méfiance déjà grande à l’égard de la parole politique et de celle des autorités de l’Etat ;

- le mépris affiché par le désormais célèbre professeur Raoult, à l’égard des procédures de preuve scientifique et son affirmation publique que tout résultat scientifique pourrait ou devrait être soumis au débat des citoyens, donne à la vérité scientifique une valeur relative que diffusent par ailleurs des idéologues obscurantistes. Il promeut par là un contresens sur la controverse scientifique qui, elle, doit exister, mais qui ne relève pas du débat d’opinion. Ce positionnement à la face du monde décrédibilise son auteur, mais risque aussi, et c’est grave, de décrédibiliser la parole scientifique.

En 2017, le Cercle Condorcet avait consacré ses travaux aux modes de pensée qui contrarient la raison1; le contexte invitait alors à s’interroger sur la puissance des croyances et à mobiliser les moyens qui permettent de les contrer pour que la raison triomphe. C’est le terrorisme fanatique qui menaçait alors notre monde ; mais au danger réel des attentats perpétrés ou en préparation, s’ajoutait celui de la panique et de son exploitation par les medias avides de spectacle et d’émotions, par des idéologues prêts à diffuser leurs interprétations du phénomène, et par les gouvernants prêts à utiliser l’urgence et la sécurité  pour justifier les décisions qu’ils prennent pour notre bien.

Donc d’un côté des croyances, avec la forme extrême de l’islamisme et, au-delà, de toutes les formes d’intégrisme religieux ; et de l’autre côté des opinions sur le diagnostic (par exemple le rôle des réseaux sociaux et des prisons dans le développement du phénomène,…), puis sur la nature et l’ampleur des faits,  puis sur les mesures à prendre (déchéance de nationalité, introduction en toute hâte d’un enseignement de morale laïque à l’école…)…

A la Vérité révélée et imposée des croyances,  et aux vérités multiples des opinions concurrentes, et à plus forte raison à la falsification², nous opposons la vérité issue de la connaissance et du savoir et la capacité de jugement rationnel des individus à faire la distinction entre ces formes de vérité, et à exercer en autonomie et pleine responsabilité leur rôle de citoyen.

C’est cette capacité que  l’école publique a la charge d’outiller par l’instruction et l’apprentissage des modes de pensée eux-mêmes en créant des situations pour les exercer et les reconnaître. Chacun apprend à l’école que la vérité est le résultat d’un processus de preuve, et qu’elle fait l’objet d’un consensus que seuls les scientifiques du domaine peuvent faire évoluer s’il y a lieu. On apprend aussi à savoir qu’on ne sait pas… Et qu’alors il faut s’informer et se méfier des croyances et des opinions. L’incertitude n’empêche pas de prendre une décision, avec un certain degré de confiance.

Mais encore faut-il que les plus hautes autorités, qu’elles soient politiques ou scientifiques ne soient pas les premières à trahir ce qu’on apprend à l’école, surtout en temps de crise… Car en temps de crise, c’est la peur qui nous fragilise ;  la menace Daech  comme celle de Covid_19 nous le montrent ; la peur, bien qu’elle n’annihile pas notre capacité de penser, peut néanmoins altérer notre capacité de résistance, faire émerger des comportements irrationnels d’égoïsme,  de suspicion, de haine, et nous faire consentir collectivement à une réduction de nos libertés.

On se rassurera en constatant, qu’au-delà des exceptions, la population a, dans cette période encore, massivement réagi avec sérénité, souvent avec courage, de manière raisonnable sinon rationnelle, et cela sans oublier ses aspirations  d’avant la crise. Signe sans doute que l’école joue bien son rôle dans la formation des citoyens en leur apportant ce qu’il faut d’esprit critique.

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1 Défendre la raison en de sombres temps (Cahier n°17, Cercle Condorcet de Clermont-Ferrand - 2017)
² Les fausses nouvelles dans l’espace démocratique (sous la direction de Philippe Bourdin, Centre d’histoire Espaces et Cultures, Université Clermont-Auvergne – 2018 ) 

Vie fédérale

Hommage aux lecteurs bénévoles de Lire et faire lire

Dans le cadre (!) des rencontres départementales de Lire et faire lire, il a été proposé aux lecteurs qui le souhaitaient de prendre la pose afin de présenter l’album jeunesse qu’ils aimaient particulièrement partager avec leur jeune auditoire.

Plusieurs séries de photos seront présentées lors des parutions successives d’Auvergne Laïque. 

Avec les remerciements de Fotografix.

Le Grand Panorama à Chambon sur Lac : l’historique

par Yves Lair

Le Grand Panorama est géré par la F.A.L. depuis une cinquantaine d’années. En effet dès 1968, jeune membre du Conseil d'Administration, j'appris par le fils de M. JOUATTE, propriétaire de cet établissement (hôtel classé 3 étoiles à l'époque), que son père souhaitait le vendre rapidement. Je fis la proposition que nous puissions l'acquérir, bien soutenu en cela par Jean MAISONNET, à un prix fort intéressant au vu de l'emplacement et des possibilités d'accueil. La décision fut difficile à faire prendre, les plus anciens Jacques VALENTIN et Maurice CANDORET estimant que nous n'étions pas "des marchands de soupe". Précisons qu'à l'époque, la station de ski du Chambon des Neiges nous permettait d'assurer une saison hivernale très rentable .Le réchauffement climatique eut raison de la station nous privant ainsi de recettes importantes. Je voudrais rappeler aux plus anciens, que pendant de nombreuses années, deux membres bénévoles du C.A., Jo MAVEL instituteur à Aubière et Marcel PLAZENET, responsable de l'intendance à l'Ecole Normale d'Instituteurs, animèrent le Grand Panorama durant toutes les périodes de vacances, au grand plaisir des résidents. Sans vouloir trop m'étendre sur la gestion, elle eut des hauts et des bas en fonction des différents gestionnaires salariés qui se succédèrent. A noter cependant que la Ligue de l'enseignement à l'échelon national n’a pas toujours bien joué son rôle de pourvoyeurs potentiel de clientèle. Il faut souligner que le Conseil Général puis Départemental a toujours été présent pour nous aider dans les travaux à entreprendre. Les difficultés de gestion nous ont amené à envisager la vente, heureusement l'équipe actuelle a su redresser la barre en innovant et en s'ouvrant sur l'extérieur.

Le Grand Panorama en dehors d'être un patrimoine important, reste un outil indispensable pour accueillir chaque année des centaines d'enfants en classes découvertes et aussi tous nos adhérents.

Il devrait prendre un nouvel élan à un moment où l'on redécouvre les bienfaits d'une nature préservée, accueillante, loin des plages surpeuplées et des attentes en file indienne au remonte-pente!

Nous possédons l'outil mais encore faut-il le faire savoir à nos associations et à tous leurs adhérents.

Longue vie au "GRAND PANO".

Le Grand Panorama en 2020

  • vacances familiales
  • classes de découvertes
  • séjours apprenants
  • accueil de groupes d’adultes : stages sportifs, séminaires, réunions d’associations, formations…
  • location de salle (réunion, fête familiale, …)
  • gîte en autonomie totale ou partielle

Profitez de cet emplacement idéal pour découvrir l’Auvergne et le Massif du Sancy et faire le plein de souvenirs…
Situé au bord du lac Chambon, « les pieds dans l’eau Â», venez découvrir seul, entre amis ou en famille, les nombreuses activités proposées au bord du lac (balades, pédalos, paddle, baignade, pêche, poney…).
Vous serez également à proximité des principaux sites de visites que compte notre belle région (Château de Murol, Besse et sa cité médiévale, le Puy de Sancy, Vulcania, les volcans de la chaîne des Puys…).

Notre centre de vacances, d’une capacité de 180 lits est ouvert toute l’année.
Nous vous accueillons en chambre de 2 à 6 personnes, en demi-pension ou en pension complète (petit déjeuner, panier pique-nique…). Restaurant panoramique avec vue sur le lac.
Nous disposons de 6 salles de réunion toutes équipées (dont 1 modulable) pouvant accueillir de 15 à 100 personnes.
Notre équipe est à votre écoute, par mail ou par téléphone pour plus de renseignements.


INFORMATION – DEVIS – RÉSERVATION

Accédez au site du Grand Panorama
Tel : 04 73 91 00 42
email : grandpanorama@fal63.org


DOSSIER

Allo Docteur, ici l’Hôpital Public, je suis malade…

Dossier constitué par Roland Moulin

Retour vers l’anormal…

« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, [pour] notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Â»

            Quel est donc l’auteur de cette prose,  ce dangereux gauchiste, cet inconscient aventureux, ce rêveur impénitent et frivole ? Emmanuel Macron dans son allocution du 12 mars dernier. Preuve est donc faite que concernant l’hôpital, on peut dire une chose en faisant son contraire.

            La parole publique est donc en faillite. Bien que ce dossier ait pour objet l’état des lieux avant Covid, la triste réalité de ce jupérien mépris à l’adresse de l’Hôpital Public et de ses personnels trouve dans l’actualité une insupportable résonnance : la nomination du technocrate Jean Castex au poste de Premier Ministre de la République ou plutôt de ce qu’il en reste. 

            Avec ses 200 000 € d’argent public perçus chaque année, cet énarque, ancien directeur de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (Dhos) au ministère de la santé et des solidarités, est l’un des pères de la tarification à l’activité (T2A), mode de financement des établissements de santé français issu de la réforme hospitalière du plan Hôpital 2007, en partie responsable de la situation actuelle des hôpitaux.

Pour conclure

                Quand l’obsolescence de notre système sanitaire conduit à faire payer à la Sécurité Sociale une cure médicamenteuse de 41 000 € ramenés à 28 700 € après marchandage avec le laboratoire américain qui la propose, ce n’est pas le système hospitalier seul qui est en péril. C’est la sécurité Sociale elle-même qui risque de vaciller jusqu’à la chute.

                Le bon goût de mourir à 50 ans n’étant plus trop respecté, d’aucuns ont la mauvaise idée de regarder ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Démonstration y est faite du fiasco d’un système de santé privatisé et à son déterminisme technologique. On aurait pu espérer que la récente crise sanitaire mette un peu de sagesse dans la tête des chantres du libéralisme médico-industriel.  Mais la remontée des informations post-covid montre que les ARS continuent leur besogne de démantèlement de l’hôpital public. Il est à craindre que le rattrapage des salaires des personnels soignants ne change rien aux choix politiques mis en Å“uvre.

Et la sympathique infirmière n’a sans doute pas fini de promener sa pancarte peinte en rouge 

« RETOUR VERS L’ANORMAL Â»
Source : Frédéric Pierru  in Le Monde Diplomatique, octobre 2019


Hopital Public : état des lieux

La réforme de l’hôpital, et plus globalement celle du système de santé, est un objectif affirmé de la loi santé. Plusieurs crises expliquent le malaise actuel de l’hôpital public :

• Une crise de perte de sens, car à la vision médicale de l’hôpital s’oppose une vision managériale à dominances économique et budgétaire. La qualité des soins a cédé la priorité au volume de soins réalisé. Le nombre de lits et de personnels soignants est devenu les variables d’ajustement de la dépense. Le résultat est une régression des valeurs médicales fondatrices au profit de valeurs économiques ;

• Une crise financière, car si l’objectif des dépenses d’assurance-maladie est national, la distribution des financements est fragmentée entre les soins de ville, l’hôpital, la prévention et le social, gérés par des instances différentes. L’évaluation se fait sur des volumes et des procédures, et non sur des résultats. Le mode de financement actuel (tarification à l’activité) aiguise la concurrence au détriment de la complémentarité et génère des effets pervers sur la pertinence des soins et les décisions d’hospitalisation ;

• Une crise managériale et de gouvernance, car la gestion administrative hypertrophiée développe une conception uniforme et juridique de l’hôpital. Les conséquences sont majeures: l’incompréhension s’est installée entre l’administration et les médecins, les liens se délitent entre médecins et autres personnels soignants, le temps consacré à la charge administrative se fait au détriment de celui consacré à soigner les patients, la multitude de lois, décrets, circulaires crée une instabilité réglementaire ;

• Une crise structurelle et organisationnelle, car un centralisme administratif pyramidal et l’accumulation de normes rigides sont imposés sans discernement aux hôpitaux qui ont une grande hétérogénéité de taille et de missions ;

• Une crise sociétale, qui impacte l’hôpital et ses personnels: la réduction du temps travail, les choix de vie et la féminisation du corps médical ont modifié les comportements et les modalités d’exercice ; les patients acteurs de leur propre santé exigent une nouvelle relation médecin-malade ; la dégradation des conditions de travail des personnels soignants est liée à l’augmentation de la charge de soins par patient, l’absence de remplacement des personnels, l’absence de reconnaissance et de valorisation des carrières, avec un sentiment croissant de déclassement.

Pour ces raisons, l’Académie nationale de médecine

appelle à une refondation de l’hôpital public:

• Une nouvelle gouvernance, qui ne doit plus être assurée par le seul directeur général de l’hôpital. Le président de la commission médicale d’établissement, représentant des médecins, devra avoir la responsabilité sur toutes les questions médicales ; dans les CHU, le doyen de la faculté doit être réellement responsable de l’enseignement et de la recherche. La direction des soins et les représentants des patients devront aussi avoir leur place. La qualité et la valorisation des équipes seront définies par de nouveaux critères: savoir-faire des personnels, nouveaux patients, réhospitalisations non prévues, activité ambulatoire, résultats. (1)

• De nouvelles modalités de financement. L’objectif sera de revenir à la valeur fondamentale de la médecine, à savoir le résultat obtenu par les soins prodigués au malade. L’évaluation doit être faite sur l’ensemble du parcours de soins en intégrant soins de ville, hôpital et social ;

• La réinsertion de l’hôpital dans son environnement doit se faire par une organisation territoriale des soins avec une gradation en soins de proximité, soins spécialisés et recours ultraspécialisés au profit d’un parcours de soins intégrant public et privé ;

• La revalorisation des personnels médicaux et soignants impose de restaurer l’attractivité de leurs métiers, de réorganiser l’activité des médecins en privilégiant le temps médical, d’augmenter les salaires des personnels soignants, de leur donner la reconnaissance qu’ils méritent ;

• L’organisation de l’hôpital centrée sur le patient devra répondre à sa triple demande: accéder à des soins de qualité, bénéficier d’une relation avec les équipes prenant soin de lui et faciliter son parcours de vie ;

• Le rôle des CHU doit être réaffirmé dans leur triple mission de soins en médecines de recours et de proximité, de formation des professionnels de santé et de recherche clinique au sein de l’hôpital.

D’après Francis Michot et Jean-François Allilaire
Médiapart 2020


Le cauchemar de l’hôpital du futur

Faut-il parler de crise d’hôpital public ou de casse ? Le projet de longue haleine, ne vise-t-il pas à livrer une institution emblématique au privé ?

                Cette entreprise que les Tartuffe voient comme une évolution et les pragmatiques comme une démolition pose la pierre angulaire d’un système qui voit la santé comme un marché prometteur et, au-delà, comme un atout industriel majeur de la France. Ainsi parlait Emmanuel Macron en 2016, venu clore l’élégant pince-fesse de Chamonix organisé sous la  houlette de Guy Valencien, Monsieur-Santé de Nicolas Sarkozy. Le Covid n’a pas encore frappé et les rêves sont à l’ordre du jour : Â« Grâce à la télémédecine, et à l’intelligence artificielle, la France va résoudre l’ensemble des problèmes chroniques de son système de soins tout en devenant un des leaders mondial de l’économie de la santé : double bénéfice pense l’inspecteur des finances Macron.  Les petits soldats de plomb des ARS (Agences régionales de Santé), payés aux prorata du nombre de lits fermés, feront, ont fait et font encore le sale boulot.

                Les années 2000 marquent le tournant néolibéral des politiques hospitalières. Dans la foulée, la pseudo gauche, conduite par l’indéfendable Hollande y perdra son âme et … les élections.

                Ainsi les hôpitaux sont-ils sommés de se recentrer sur leur « cÅ“ur de métier Â« , les soins très spécialisés techniques et coûteux et les missions de service public et de faire cadeau du reste (le plus rentable) aux autres acteurs de l’offre de soin : médecins  libéraux et cliniques privées.  Cette évolution porte un nom « le virage ambulatoire Â».

                Pour ce faire, deux armes redoutables sont rendues opérationnelles par les Jean Castex et Roselyne Bachelot : la mise en concurrence et la contrainte budgétaire par la fameuse tarification à l’activité T2A. Maintenant, la Sécurité Sociale ne rémunérera plus les structures mais « l’argent suit le patient Â» (Merci madame Thatcher à qui l’on doit cette invention). Plus d’activités, plus de recettes, plus de personnels, plus d’investissements.

                Mais la concurrence se déroule dans un cadre budgétaire aux contraintes grandissantes. Pour s’en défendre, les pratiques perverses entrent en scène : saucissonnage des séjours, codages optimisés par des « boîtes Â»privée pas toujours vertueuses. Pour éviter cette inévitable inflation, les pouvoirs de tutelle baissent autoritairement les tarifs. Et c’est la valse des exercices budgétaires déficitaires pour les établissements publics.  Les gestionnaires ont alors des réponses imparables pour retrouver l’équilibre. L’optimisation mise en Å“uvre ce sont les fermetures d’établissements (les maternités sous couvert de sécurité sanitaire sont les premières visées), les fermetures de lits, l’intensification sans précédent du travail des soignants et du personnel d’accompagnement, l’allongement des temps d’attente, le recours aux emprunts toxiques, la ronde des faux-cul et l’omnipotence administrative. 

                Et au final, la fuite des patients vers le secteur 2 à honoraires libres et le secteur privé s’intensifie. La boucle est ainsi bouclée.

                Mais le navire-hôpital n’est pas seul dans la tourmente : la vieille médecine libérale et le secteur médico-social tanguent au gré de la même houle.

D’un ministre à l’autre, Moi, je….

La chaîne télé Public-Sénat a diffusé en intégralité l’audition par les Députés, de Xavier Bertrand, actuel président de la région Hauts-de-France. Il y a fait étalage de ses certitudes et de la haute idée qu’il a de son passage au ministère de la Santé. On est contents pour lui. Mais, chose non dite et peut-être après avoir lu les préceptes de François Cavanna, force est de constater qu’en quittant les lieux, il a caché dans des tiroirs quelques camemberts dont ses successeurs ont  à supporter l’odeur. Un exemple.

L'hôpital sud-francilien sort du PPP, moyennant 80 millions d'euros

La fin du cauchemar a un prix pour l’hôpital sud-francilien : 80 millions d'euros. Le Centre Hospitalier Sud-Francilien (CHSF) situé entre les villes de Corbeil-Essonnes et Evry a résilié le PPP qui le liait au groupe Eiffage, via sa filiale Héveil. Cet accord a été conclu au terme de plusieurs mois de négociations pour mettre fin au bail emphytéotique hospitalier qui le liait jusqu’en 2041. Cette somme, bien que très élevée, semble dérisoire par rapport au loyer annuel de 40 millions d’euros que devait verser l’hôpital au groupe Eiffage pendant trente ans, en échange de son investissement (chiffré au départ à 344 millions d’euros) et de la maintenance des lieux.

Signé en 2006 par Xavier Bertrand, la formule du partenariat public-privé pour la construction de cet hôpital est controversée depuis plusieurs années. Un gouffre financier qu’un rapport de la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France a pointé dès février 2011. Elle épinglait Â« la formule juridique contraignante et financièrement aléatoire Â» et soulignait qu’un montage public aurait permis d’économiser près de 500 millions d’euros dans la construction de l’hôpital.

D’après Valentine Oberti  - Médiapart 2020


Médecine libérale – Médecine épicerie

Soyez malades de 9 h à midi et de 14 à 18 heures sauf week-ends et jours fériés.

Les principes de la médecine libérale ont été définis en 1927. Depuis, sous la pression des syndicats médicaux  qui, jusqu’en 1990 faisaient la chasse au numérus-clausus, le nombre de médecins a décru au point que la France découvre au XXIème siècle, telle la poule ayant trouvé un couteau, les inconvénients des déserts médicaux. Les médecins libéraux ont beau jeu de couiner face aux difficultés qu’ils ont eux-mêmes créées au nom de la liberté d’installation. Si l’on ajoute à cela  la diminution du temps de travail des jeunes praticiens  et concomitamment, le vieillissement de la population, on se rend vite compte que la médecine dite de ville n’est pas en position de prendre la place qui lui revient dans l’accueil de proximité. Cette lacune rejaillit ipso-facto sur les services d’urgence de l’hôpital augmentant ainsi précarité des patients et mal-être du personnel.

                Mais tranquillisons-nous : des nonosses  ont été donnés aux médecins. Depuis 2015, la médecine d’urgence est reconnue comme une spécialité à part entière et le diplôme d’études spécialisées a été créé en 2017.  Il ne reste plus qu’à donner la gestion matérielle des SAMU et celle des hélicoptères tels DRAGON-63 à des gens dits de terrain, en tous cas  autres que les guignols à cravate du ministère de l’Intérieur dont l’Auvergne vient de percevoir  l’expression de l’incompétence la plus crasse : la pantalonnade vient de coûter 300 000 € au contribuable auvergnat et rhône-alpin.

                 « Absence d’un véritable service public de santé de proximité en amont et faillite du médico-social en aval, voilà les causes de la crise des urgences qui déstabilise tout l’édifice hospitalier. »

Ehpad : le crépuscule des Vieux

Le secteur médico-social au premier rang duquel on trouve les EHPAD a vu ses compétences partagées en l’Etat et les collectivités territoriales. Mais dans ce jeu de bonneteau, les Conseils départementaux sont bien incapables de faire face au défi de la montée de la pauvreté et de la précarité au vieillissement de la population et aux besoins dus à la dépendance.

Le sous-financement systématique imposé par l’Etat et la sous-médicalisation ont été scandaleusement mis en évidence lors de la crise sanitaire récente. Même en temps dit « normal Â», les établissements, par manque de moyens, sont souvent contraints de solliciter des hospitalisations que l’Hôpital  a des difficultés à assumer ; ces soins ne sont pas reconnus à leur juste valeur par cette tarification à l’acte chère (c’est bien le mot qui convient !) au premier ministre Jean Castex. 


Avec les DDEN

Confinement, inégalités scolaires et école à la maison

par Anne-Marie Doly, pour l’UD DDEN 63

Deux tribunes parues dernièrement qui concernent l’école du confinement auxquelles ont retenu notre attention. On peut leur adjoindre le dernier ouvrage de B. Lahire sur les inégalités scolaires cité dans l’une des tribunes, et un texte de l’AEF)[1] qui vante les mérites de Â« l’école à la maison Â», revisitée pour un usage futur.   

La première tribune, Pour une école de l’émancipation, est de Myriam Martin, élue, enseignante en lycée professionnel, met en question la « continuité pédagogique Â» vantée par le ministre Blanquer que permettrait l’école à la maison. La seconde émane de hauts fonctionnaires (DASEN, inspecteurs généraux, cadres du ministère) qui « dénoncent le projet réactionnaire Â» du ministre. Toutes deux convergent dans une vive critique de l’action éducative du gouvernement qui utilise à la fois un « management autoritaire Â», « un double discours permanent Â», « des formules d’affichages Â» et « un immense mensonge Â» pour mettre en Å“uvre des réformes qui, au contraire de ce qu’elles déclarent, « ne font qu’augmenter les inégalités Â».

« Nous observons consternés, disent les hauts fonctionnaires, un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de ses valeurs et ne pouvons nous taire Â» devant la « mise au pas Â» idéologique du ministre. Cette mise au pas « astreint cadres et enseignants à suivre des guides pédagogiques (…) au mépris de leur expertise Â». Elle « renvoie les enseignants du premier degré au statut de simple exécutants aux ordres Â» « suspendus à des préconisations d’une neuroscience devenue toute puissante Â». Elle détruit peu à peu l’enseignement professionnel au profit des formations privées et le ferme sur lui-même en supprimant des enseignements généraux, interdisant ainsi aux élèves qui le suivent de pouvoir changer de filière ou de poursuivre des études longues. Elle réduit la formation à la citoyenneté « Ã  une formule d’affichage », « le respect d’autrui Â», qui, précisons-le, est une formule « morale» et non civique, formule « réservée à la communication ministérielle Â». Elle Â« érige les neurosciences au rang de nouvelle doctrine pédagogique au détriment du savoir-faire des enseignants Â», comme si l’école avait attendu les neurosciences pour alphabétiser la population au début du XXème siècle. Elle « fait du numérique, (…) l’alpha et l’oméga de la pensée pédagogique (…) offrant l’échec scolaire en marché aux éditeurs et aux opérateurs privés Â». Elle proclame enfin « l’importance future de l’enseignement à distance Â» dont le confinement, selon le ministre, a montré les vertus, en assurant une « continuité pédagogique Â», dont la seconde tribune nie justement la réalité.

« Comment peut-on parler de continuité pédagogique quand il n’y a plus classe ? Â», interroge Myriam Martin.

Il y a tout d’abord les problèmes de connections et de manque d’ordinateurs qui s’ajoutent au manque de lieu propice à l’étude et à l’incompétence de parents à aider leurs enfants et à comprendre les documents envoyés, aux tensions familiales engendrées. C’est bien plus des 5% d’élèves, qui en font déjà 600 000, déclarés par le ministre, qui ont eu des problèmes matériels, sociaux et culturels pour faire l’école à la maison et ce sont en très grande majorité des enfants de milieux défavorisés. Notons aussi que les professeurs ont dû utiliser leur équipement personnel pour faire cette école à distance, ce qui n’a pas toujours été facile, surtout que certains n’ont pu « disposer d’outils institutionnels facilitant leur travail Â». On le voit, la classe à la maison, loin d’assurer une continuité pédagogique, ne fait que creuser les inégalités.

Pour apprécier le hiatus, explique l’auteure, il faut d’abord comprendre ce qu’est un cours en classe. « C’est un tout : des élèves, un enseignant, une mise en musique pédagogique, de l’émulation, de l’interaction, du débat. L’attention portée à tous les élèves et en particulier à ceux qui manifestent le besoin d’une aide plus soutenue, d’explications répétées, reformulées Â». Notons bien cette aide spécifique apportée par le professeur, formé pour cela, faite d’explication, de répétition et de reformulations à des élèves dont il s‘efforce, par ses questionnements et son expérience d’enseignement, de comprendre la difficulté : qu’est-ce, précisément, qu’ils ne comprennent pas, se demande-t-il sans cesse pour « ajuster Â» son intervention. Tout cela ne peut se faire à la maison comme le révèlent les enquêtes de la FCPE. « Etre enseignant est un métier à part entière Â», voilà ce que les parents, dont « l’opinion sur le travail des professeurs s’est améliorée Â» ont compris de l’expérience obligée d’école à la maison.

Ce que fait apparaître ce confinement, c’est que, « l’école est en réalité vectrice d’égalité Â» et que « sans cette école même imparfaite Â», dont tous les acteurs, professeurs, directeurs et inspecteurs, « défendent les principes républicains d’une école pour tous les élèves, il n’y a plus d’égalité de traitement Â». Il ne peut y avoir de classe à la maison, tout au plus y a-t’il eu un palliatif au manque d’école, ce qui est mieux que rien, mais qui a nettement mieux fonctionner pour les enfants de milieux favorisés, qui, au-delà de la question matérielle, jouissent déjà de ce qui facilite les apprentissages comme l’explique le sociologue B. Lahire [2]

Dans son dernier ouvrage, l’enquête menée auprès d’élèves de grande section de maternelle, révèle que si Â« les enfants vivent au même moment dans la même société, ils ne vivent pas dans le même monde Â».

Les inégalités sont présentes dès la petite enfance et se fabriquent dans la famille dès le départ. Elles touchent tous les domaines : le corps et la manière dont on le vit et l’utilise, la santé, l’alimentation, les loisirs et les pratiques culturelles, l’autorité dans sa forme (comment s’exerce-t-elle ?) et dans son contenu (quelles sont les règles, les limites [3]). Elles touchent tout particulièrement le langage qui, loin de n’être qu’un outil de communication, est un moyen essentiel du rapport au monde et de sa représentation, un véhicule de la culture. Et la culture, c’est ce qui nous dit ce qu’est le monde où nous vivons en le représentant sous des formes diverses -l’art, les sciences, la littérature, la technologie, Et c’est de la maîtrise de ces représentations que dépend notre capacité de vivre dans ce monde et de s’y dessiner un avenir. La non maîtrise du langage doit donc être comprise, à la fois comme facteur d’échec scolaire et bien au-delà, comme un manque à vivre humainement c’est-à-dire aussi librement, car celui qui ne maîtrise rien du monde où il vit ne peut qu’en être le jouet.

Or l’école républicaine, depuis Condorcet, s’est donnée pour tâche de transmettre à tous les enfants, les éléments de la culture en même temps que les moyens de se l’approprier, y compris après l’école, afin d’émanciper tous les hommes et leur permettre de choisir leur destin notamment en devenant des citoyens. C’est pourquoi l’apprentissage de la langue tient à l’école une place si importante et que sa carence est révélatrice de l’inégalité scolaire et au-delà, des inégalités sociales et culturelles entre les hommes. Mais Lahire précise dès 1993 que ce qui constitue le nÅ“ud de l’inégalité et que révèle la carence langagière, ce sont des différences plus fondamentales de mode de pensée.   

Notre culture en effet, n’est plus depuis longtemps à tradition orale, elle se transmet par l’écriture qui met en Å“uvre des comportements cognitifs spécifiques de type réflexif (on n’écrit pas comme on parle de façon immédiate et peu anticipatrice), c’est cette langue de l’écrit que l’école exige et doit apprendre. C’est celle de la littérature et des sciences, mais déjà celle des livres pour enfants qu’on lit le soir au coucher, c’est celui des problèmes que pose la maîtresse pour faire pousser des lentilles ou nourrir le hamster ; c’est cette langue que le maître utilise pour désigner les parties du corps et de ses mouvements qui vont être en jeu dans la séance de motricité. C’est une langue qui n’est pas seulement «oralisée», mais une langue qui se pense elle-même pour choisir la forme la plus adéquate à la situation, qui anticipe la pensée de l’autre, ses difficultés à comprendre, qui exprime donc une pensée réflexive et critique d’elle-même : c’est celle de l’enfant qui a « tourné, comme demande le maître, sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ! Â». C’est elle qui raconte (« il était une fois … Â»), qui questionne (« pourquoi Pierre lapin se met -il à courir si vite ? Â») et se questionne (« quel terme utiliser pour dire que… Â»), qui explique et s’explique (« il faut de l’eau pour que la plante pousse Â», « que signifie tel mot ? Â»). Et pour mettre en Å“uvre ces compétences réflexives, cette langue a besoin d’allonger et de complexifier les phrases, de conjuguer les verbes, de coordonner les actions et les propositions qui les portent par des Â« mots-outils Â» (conjonctions, relatifs,) de qualifier les objets et les actions par des adjectifs et des adverbes et ainsi de se soumettre aux normes de la grammaire et de la syntaxe. C’est cette langue « métacognitive Â», qui se contrôle elle-même, qui fait défaut aux familles défavorisées qui ont tendance à vivre « une culture orale Â», avec des « rapports au monde immédiats Â», « pragmatiques Â», « qui visent l’utilité et l’efficacité Â». Cette langue de la culture orale vise essentiellement la communication et utilise l’injonction pragmatique (« Ã©teint la télé Â», « viens manger Â»), la désignation (« c’est une Peugeot Â», « elle est rouge Â») et se limite aux formes grammaticales et syntaxiques les plus simples (sujet verbe complément). A l’inverse, dans les milieux favorisés, qui sont en phase avec les exigences de l’école, les rapports au monde sont distanciés, réfléchis, contrôlés, et la langue utilisée vise la norme plus que l’utile, : « fais une belle phrase dit le professeur Â» et « explique-toi Â» « que veux-tu dire Â» dit le parent « favorisé Â». Ainsi, L’enfant est depuis sa naissance soit dans un monde qui exige de lui et apprend distance, réflexion, contrôle, anticipation, rétrospection, soit dans un monde qui le fait vivre dans l’immédiateté, la recherche de la satisfaction des besoins, de l’utilité. Et ces deux types de rapport au monde sont véhiculés par deux langues très différentes dont l’une seulement est celle de l’école et de la culture. Et il y a bien là inégalité et pas seulement différence car Lahire ajoute que la maîtrise de cette langue et des compétences métacognitives qu’elle véhicule « sont en position de dominer ceux qui ne les maîtrisent pas Â».

Voilà pourquoi l’école avec la présence du professeur qui parle cette langue au quotidien, l’apprend spécifiquement ou à l’occasion de son travail littéraire, scientifique, ou d’aide aux élèves, est incontournable. Quand il explique, il fait beaucoup plus qu’augmenter les chances de comprendre, il apprend la langue qui apprend à réfléchir et qui permet de s’approprier la culture.

Alors non, il ne peut y avoir de continuité pédagogique avec l’école à la maison. On comprend pourquoi cette formule ne peut que faire « exploser les inégalités Â». Il faut donc cesser, comme le fait le ministre éclairé par le président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, Stanislas Dehaene, d’imaginer qu’elle pourrait devenir, à la lumière de l’expérience positive du confinement, un vrai moyen de faire la classe en remplacement même partiel de celle qui existe. Et attention aux contournements du problème par une certaine recherche dont la société libérale est l’horizon et le fondement comme celle de l’AEF. Conscients en effet du problème que nous avons développé et de l’impossibilité d’une continuité pédagogique, les chercheurs proposent une formule différente empruntée au Canada, celle d’une « continuité éducative Â», « plus ouverte Â».  Le texte de la recherche AEF rapporte le constat de S. Dehaene : "L’avantage du confinement est qu’il a effacé la barrière entre les familles et l’école. On a créé du lien et les familles ont vu ce qu’était enseigner, quel rôle elles pouvaient jouer. Notre idée serait que les enseignants et les familles partagent les mêmes outils." "À partir d’une expérience contrainte se dessine un modèle proposant une plus grande diversité des modes, des lieux réels ou virtuels, et des temps d’apprentissage". Et les chercheurs reçoivent déjà nombre de demandes de recherches sur ces questions d’enseignement à distance !

Ainsi, les familles qui éduquent et ne peuvent instruire, c’est-à-dire faire des apprentissages scolaires systématiques, pourraient utiliser des moyens numériques spécifiques de type « culturels Â» mis à leur disposition par le gouvernement, pour faire des moments d’éducation « culturelle Â» à la maison dont l’école n’aurait plus à se charger. Elle pourrait alors s’en tenir aux apprentissages fondamentaux qui exigent exercices, répétitions et entrainement, indispensables à l’adaptation des élèves à la demande socio-économique : « combiner des temps en classe articulés avec du travail à distance pourrait préfigurer l’école de demain Â». Les avantages sont multiples. Des économies d’abord, avec moins d’heures de classe et moins de professeurs. Mais il y a aussi un bénéfice politique : les parents les plus favorisés qui réussissent le mieux à utiliser ce numérique éducatif, sont aussi ceux qui sont majoritairement le plus « en phase Â» avec le pouvoir dominant. Ceux qui parviennent plus difficilement à utiliser le numérique et à aider leurs enfants, seront « guidés Â» par les dispositifs gouvernementaux. Cette éducation numérique ne serait donc que bénéfique à l’ordre social, économique et politique dominant.  

De plus Â« cela suppose bien sûr plus de souplesse et moins de verticalité dans le pilotage du système éducatif. (…) La situation actuelle devrait inciter à donner un vrai contenu à la notion d’autonomie des établissements Â». Ce type « d’hybridation des modèles Â» permettrait la décentralisation de l’école républicaine, c’est-à-dire en réalité sa destruction et ouvrirait enfin la voie à une école libérale, décentralisée et d’autant mieux contrôlée par le pouvoir politique, qui pourrait plus rapidement et efficacement adapter les élèves à la demande socio-économique. Ainsi s’éloignerait le spectre de l’école républicaine émancipatrice.  

Alors ne nous laissons pas tromper par ces mensonges de post-confinement qui font miroiter une continuité pédagogique qui en réalité n’existe pas et l’école à distance comme une solution aux problèmes des inégalités et de l’échec scolaire. Elle n’est que l’expression de la volonté politique des fossoyeurs de l’école républicaine émancipatrice qui veulent en faire un souvenir des temps anciens.


[1] AEF : Agence Education et Formation est une agence d’information des chercheurs en éducation est proche du ministère et dirigée par R. Soubie, ex conseiller de N. Sarkozy

[2] B Lahire, 2019, Enfance de classe, de l’inégalité parmi les enfants (Seuil)

                     1993, Culture écrite et inégalités scolaires : sociologie de l’échec scolaire à l’école primaire (PUL)

[3]  Les formes et les contenus de l’autorité, la question  des limites, qui jouent un rôle majeur dans l’adaptation des enfants  à leur  vie scolaire et aux apprentissages, sont souvent traités de manière très différente de la famille à l’école, ce qui engendre de graves incompréhensions des élèves qu’ils ne peuvent expliciter, et provoque des comportements inadaptés et rejetés par l’école. 


Loisirs

Coronavirus (Tragédie Antique)

par Michel Collonge

Néron, Agrippine sa mère, deux gardes...

Néron  (seul)

Home, l'unique objet de mon confinement

Home, entre tes murs, vais-je vivre longtemps ?

Vais-je avec Agrippine partager mon espace ?

Impossible ! Il faudra que la vieille trépasse !

                                                                               (Agrippine entre)

Gardes, arrêtez ma mère, cette vieille tarasque,

mais avant de la tuer récupérez ses masques

ses gants, son sopalin et son papier WC

et tout le contenu de son garde-manger !

Agrippine

Ô Mon fils ennemi ! N'aurais-je donc vécu

que pour voir mon enfant voler mon papier Q ?

Voler mon sopalin ! Pourquoi pas mes culottes

pour fabriquer des masques à chacun de ses potes ?

Qui osera porter mes dessous de Vénus

sera bientôt victime du coronavirus !

Néron

C'est cela ! C'est cela ! Gardes, arrêtez ma mère

Bientôt elle nourrira mes lions et mes panthères.

Chacun sera ravi que la croqueuse d'hommes

soit à son tour croquée dans le cirque de Rome.

Agrippine

Quand la « vieille «  paraît tout le monde se sauve

Imagine aux arènes la fuite de tes fauves

                                                                               (aux gardes qui approchent)

Gardes, n'approchez pas ! Je suis contaminée

La vie de qui me touche, demain est terminée !

Arrière les légionnaires !...

1er garde

                                 Oh putain, je veux pas

pour une culotte passer de vie à trépas.

Mais pour du papier Q et un peu de farine

je veux bien agripper Agrippine.

2ème garde

Pas moi mon camarade, je connais la matrone

Bien avant l'Empereur, c'est elle la patronne !

Nous mangerons les pissenlits avec Racine

avant que soit debout l'ehpad d'Agrippine

ou nous aurons les yeux au bec de Corneille

bien avant qu'elle soit morte la vieille !

Néron (à part)

Ma mère contaminée ? Qu'est-ce qu'elle mijote encore ?

Ce coronavirus, quel con s'il ignore

qu'en touchant Agrippine il a signé sa mort !

Ce n'est pas un microbe qui tue un dinosaure !

Agrippine (au 2ème garde)

Approche légionnaire, dis-moi quel est ton nom ?

2ème garde

                                                               Je m'appelle, Madame,....

Agrippine

                                                               Oui ?

2ème garde

                                                               Je m'appelle...Raymond !

Agrippine

Mais c'est joli Raymond ! Tu es mince, tu es beau

Et puis tu sens bon le sable chaud

toi qui me connais bien, toi qui sais qui je suis

j'aimerais, même vieille, te revoir une nuit !

( au 1er garde)

Quant à toi tu deviens l'ennemi d'Agrippine

pour du papier WC et un peu de farine.

J'aurai l'oeil sur toi et le jour et la nuit

Toi qui me connais pas, tu sauras qui je suis.

Néron

Arrêtez ces tirades, arrêtez ce laïus

combattons tous ensemble ce coronavirus.

Remettons à plus tard nos anciennes querelles

à la fin de la crise nous reviendrons à elles.

(Aux gardes)

Gardes, laissez aller Agrippine à ses frasques...

Mais pourquoi, pour garder, vous gardez pas vos masques ?

Facétie

Cherchez l'erreur.

Il parait que le deuxième objet a été trouvé dans le grenier d'une Amicale Laïque puydômoise.

Mais la chose reste à vérifier.

Roland Moulin, avec la complicité technique de Florent Dal Moro


Divers

Michel Charasse, toujours parmi nous

par Alain Bandiéra

La vie n'a pas suspendu son cours depuis le 22 février 2020, même si  ce jour-là, Michel Charasse, l'homme qui ne croyait pas au ciel, a quitté la terre. Pour ceux qui l'ont aimé, ceux qui l'ont côtoyé, le monde est devenu « un peu plus vide », comme l'écrivait Jean-Paul Sartre à la suite de la disparition de son ami-adversaire, Albert Camus.

Comment imaginer que cette grande voix s'est tue à jamais, et qu'elle n'exercera  plus  sa réprobation implacable  contre l'injustice, contre la malhonnêteté, contre la déloyauté ? Il fut l'emblème du moralisme politique bien avant les décrets du macronisme. Et si nous lui rendons aujourd'hui un hommage « différé Â» en raison des circonstances qui ont retardé la parution de notre journal, il nous suffirait, pour peindre ce grand homme,  de reproduire ici l'hommage magnifique que lui a rendu son ami, Jean-Yves Gouttebel : « Le 21 février 2020, s’est éteint un Grand Homme, la Nation française a perdu un grand serviteur de la République. Avec lui, c'est une figure incontournable de la vie politique et institutionnelle nationale qui s'en est allée et un enfant du Puy-de-Dôme à qui il est resté fidèle. Personnellement, j’ai perdu un ami très cher,... Â»

         Lorsque Michel Charasse honorait de sa présence les repas républicains organisés à Montaigut-en-Combraille par le parti socialiste local, l'auditoire n'attendait que lui. L'enthousiasme, la conviction de son verbe au service de ses idées et de ses engagements soulevaient l'admiration. La qualité chaleureuse de sa présence, l'humour  sans indulgence qu'il manifestait à l'égard de toute forme de médiocrité – dont la médiocrité politique – nous allaient droit au cÅ“ur bien plus efficacement que le prosélytisme d'un discours de propagande.    Jean-Yves Gouttebel a souligné  – plus que des qualités ou des mérites – les vertus d'un homme d'exception :  Â« tout était extraordinaire chez Michel Charasse. Sa personnalité d'abord : personnage truculent, bon vivant dans l'âme, la verve puissante et haute en couleur. Mais aussi son intelligence, son sens aigu de l'analyse, son savoir presque sans limites... Â»

         Nous garderons, pour notre part, le souvenir de ce que Jean-Yves Gouttebel  salue par « la passion de la République laïque et indivisible Â», et son attachement  irréductible à la laïcité. Il savait ériger ses convictions aux dimensions d'un spectacle ; aux obsèques de son grand ami François Mitterrand, il préféra tenir compagnie au chien du président sur le parvis de l'église plutôt que d'assister à la cérémonie religieuse. Nous osons dire que nous préférons cet anticléricalisme ostentatoire à  la tiédeur et  à l'hypocrisie des compromissions à l'oeuvre pendant la dernière campagne électorale. Comme Victor Hugo, qu'il admirait, Michel Charasse montrait ouvertement qu'il voulait « l'église chez elle Â». « C’était un homme libre au service de la République Â» dira encore Jean-Yves Gouttebel Â».

         Conformément à ses convictions, et à sa popularité, c'est dans la salle des fêtes de sa commune de Puy-Guillaume, loin des honneurs de la capitale,  que Michel Charasse a reçu l'hommage de ses amis venus de la France entière, de ses administrés venus ce jour-là témoigner de leur chagrin, mais aussi de leur gratitude : jamais, au cours de son mandat municipal,  Michel Charasse n'a sacrifié son engagement local au profit de ses différentes missions politiques et il doit à son art de la proximité une grande partie de sa renommée, du crédit que lui ont accordé ses partisans, et parfois même ses adversaires.

         Pour la dernière fois à ses côtés, digne autant que discrète, Danièle son épouse,  témoin des derniers combats, l'accompagnait sur le dernier chemin. Comme toute l'intimité d'un homme est empreinte de symboles, il n'est pas surprenant que Michel Charasse, au-delà de l'amour d'une femme, ait partagé sa vie avec une institutrice ; ainsi marquait-il dans sa vie privée son attachement à l'éducation, son respect des enseignants, sa foi – toute laïque – en l'éducation nationale et en ses acteurs. La présence – et le dernier hommage -  d'un autre ami – de taille – Lionel Jospin, illustrait aussi les valeurs du défunt.

         Nous laisserons le dernier mot – celui de l'émotion immense et de l'amitié – à Jean-Yves Gouttebel célébrant la postérité de Michel Charasse : « Michel, tu es et tu resteras une leçon de vie Â».

         Dans ce monde où il n'est plus, le silence ni l'oubli ne sont près de couvrir la voix puissante de Michel Charasse, ni le souvenir de sa présence.

Un livre de martyrs américains (Joyce Carol Oates)

édité par le « Centre National du Livre »

par Marcel COL

Tout commence en 1999 dans une région reculée de l'Ohio, avec l'assassinat d'un « médecin avorteur Â» qui a consacré sa vie à la défense du droit des femmes. L'assassin est un déséquilibré légèrement obsédé sexuel, qui prétend être investi d'une mission divine. Il se rend sans résistance. Il est jugé, condamné à mort et exécuté en 2006.

Fin de l'histoire ?

L'auteur Joyce Carol Oates, une universitaire américaine, poétesse et romancière (son roman « Les Chutes Â» a reçu en 2004 le prix Femina Etranger) ne prend pas parti, elle raconte, en donnant la parole à chacun des protagonistes de la tragédie. Elle fait ainsi dans ce long récit le portrait de l’Amérique, celle précisément qui a voté Trump en 2017… Et l'on se demande si c'est bien cette Amérique qui contribua à la libération de l'Europe en 1945, l’Amérique du Plan Marshall, ou l’Amérique de la Statue de la Liberté accueillant les pauvres et les émigrants de tous les pays...

On rencontre au fil de cette histoire, à la fois des abrutis religieux : évangélistes, pentecôtistes ou méthodistes et des intellectuels humanistes : médecins, professeurs, journalistes, brillants et généreux dont la pensée et les actions essaient d'alimenter une réflexion difficile sur la vie et la défense du droit des femmes à disposer de leur corps. On y rencontre aussi le racisme rampant qui ne s'est pas éteint loin s'en faut avec Barack Obama, tandis que les manifestations contre l'interruption de grossesse se multiplient dans les Etats… et vont même jusqu'à influencer aujourd'hui certaines politiques européennes. Un mauvais vent soufflerait-il de l'Ouest vers l'Europe et l'Amérique malade aurait-elle perdu ses valeurs ?

Si l'on reste sous le choc de certains récits, comme le long procès suivi de l'exécution maladroite et cruelle du coupable (la peine de mort existe toujours dans certains états et le droit de porter des armes également) ou le récit de brimades avilissantes dont est victime Dawn Dunphy la fille de l'assassin, c'est l'Amérique elle-même avec ceux que l'auteur appelle ses « martyrs Â» qui est racontée dans ce livre « le plus important de Joyce Carol Oates Â» selon le Washington Post.

On lit aussi les réactions des familles : les épouses détruites et les enfants sans repères. Particulièrement l'histoire des deux filles qui ont presque le même âge, Naomi Voorhees la fille du médecin et Dawn Dunphy que l'on voit vivre, plutôt mal, grandir et enfin se rencontrer dans une dernière scène pleine d'émotion et d'espoir « [...]Dans la consolation du chagrin, elles se tenaient embrassées et ne voulaient jamais se déprendre. Â»

La traductrice, Claude Seban, écrit en quatrième de couverture « Joyce Carol Oates offre le portrait acéré d'une société ébranlée dans ses valeurs profondes. Sans jamais prendre position elle rend compte d'une réalité trop complexe pour reposer sur des oppositions binaires. Entre les fÅ“tus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu Â» condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs ? Â»

Sans doute il faut lire ce livre parce qu'il est essentiel pour comprendre l'Amérique d'aujourd'hui avec ses espoirs et ses fractures. Et même si en apparence elle ne parle pas directement de nous, ce que nous raconte Joyce Carol Oates nous concerne car nous savons bien que les lois votées, même les plus généreuses, ne sont pas immuables. Certaines « manifs pour tous Â» nous l'ont bien montré et les décisions récentes de certains pays européens nous le rappellent aussi.

« Le ventre est encore chaud d'où est sortie la bête immonde Â» (Brecht)


Mots croisés n°485

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FORUM

Les chamailleurs de Fourmies et autres chenapans du premier mai

Alain Bandièra

Tout avait bien commencé en ce premier mai 2020 par un discours « aux petits oignons Â» du président Macron à l'intention de tous ceux – ouvriers, bénévoles, associations – qui s'étaient mobilisés pour secourir – et sauver – leurs semblables, et avaient permis à la Nation de tenir bon face à l'épidémie. L'éloge du président sonnait juste et ne sombrait ni dans la polémique ni dans l'auto-satisfaction ; le « nous Â» dont il usait ne relevait pas d'un pluriel de majesté mais bien plutôt d'une citoyenneté partagée : « Ce premier mai ne ressemble à aucun autre. Privés des rituels de cette journée, nous en éprouvons aujourd'hui toute la valeur et tout le sens... Â»

         Devenu la fête internationale du travail, le Premier Mai, c'est, depuis la manifestation des origines, en 1886 à Chicago, la longue histoire d'importantes conquêtes ouvrières : la création, par le gouvernement Clémenceau, en 1906, d'un ministère du travail destiné à répondre aux revendications des travailleurs ; la journée de 8 heures accordée peu avant le 1er mai 1910 ; le caractère férié et chômé du ler mai soustrait à la devise pétainiste et reconnu en 1948.

         Emmanuel Macron pourtant est allé trop loin ; la connivence avec le monde du travail sombre dans une démagogie insupportable, où le mépris l'emporte, une fois de plus, sur l'estime affichée envers les citoyens, évoquant « une volonté forte, celle de retrouver dès que possible ces Premier Mai joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre nation. Nous les retrouverons ces premier mai heureux, ensemble, unis Â».

         Et c'est pêcher lourdement contre l'histoire que de négliger avec autant de désinvolture (ou d'ignorance?) la répression violente, parfois meurtrière, qui s'est exercée contre les manifestations revendicatives ouvrières, et dont Zola témoignait dans son roman « Germinal Â», prophétisant ainsi la fusillade de La Ricamarie.

         Comme le discours de Macron, tout avait bien commencé à Fourmies, petite ville textile du nord, où quelques centaines d'ouvriers organisent le 1er mai 1891, malgré la présence de l'armée, une manifestation « festive Â» pour réclamer la libération de leurs collègues grévistes emprisonnés dans la mairie ; en fin de journée les soldats tirent sur la foule, la fusillade se solde par neuf morts, dont quatre jeunes femmes et un enfant ; l'événement restera à jamais inscrit dans la symbolique du premier mai, conférant aux grévistes, le statut de martyr.

         Ces chamailleurs ne sont pas les seuls à avoir payé de leur vie un combat au service de leur dignité de travailleurs contre un patronat inflexible campé sur ses privilèges. Le 1er mai 1906, à Paris, une manifestation violente qui réclame la journée de huit heures se solde par 800 arrestations et beaucoup de blessés (la troupe a été mobilisée par Clemenceau). A Hambourg, 6 000 ouvriers, qui fêtent et chôment ce 1er mai, sont licenciés. La répression marque, dès son origine, l'esprit et l'histoire de cette grande date. A Chicago. Le 3 mai 1886, une grève éclate à la suite de la manifestation du 1er mai qui n'a pas permis aux ouvriers d'obtenir la journée de 8 heures revendiquée ; des affrontements provoquent la mort de trois ouvriers ; le 4 mai une bombe fait quinze morts parmi les policiers. Ces événements vont entrainer la condamnation de 3 ouvriers à des peines de prison à perpétuité, et 5 à la pendaison. Ils seront tous réhabilités.

         C'est à tous ces joyeux lurons que la classe ouvrière doit d'avoir gagné un peu plus de justice dans ses conditions de travail, et sans doute un peu plus de respect : les manifestations du premier mai ont longtemps fait peur aux journalistes et aux bourgeois, et on imaginait l'ouvrier arborant un couteau entre les dents plutôt que un brin de muguet dans la main. Aujourd'hui encore, les chamailleurs n'ont pas ménagé leurs efforts et ils ont, à leur tour, exposé leur vie. Ils méritent mieux qu'une apologie paternaliste ; ils méritent sans doute mieux qu'une prime ; et le président de notre République a grand besoin de relire notre histoire afin d'y déceler le vrai sens de l'épopée des premiers mai, et la postérité de leurs combats.