Auvergne laïque n° 488 - juin 2021 / EDUCATION

Échos de la commune : poèmes et chansons

Anthologie réalisée et présentée par Alain Bandiéra

Hier

Rares sont les écrivains qui se sont déclarés favorables à la Commune. Victor Hugo lui-même, qui écrivit « l’année terrible » dans laquelle il évoque les événements de la semaine sanglante, avait une position équivoque ; il accueille cependant dans son refuge à Bruxelles les réfugiés fuyant la répression des Versaillais.

Mais on retiendra le soutien apporté aux Communards par Arthur Rimbaud, « insurgé » dans l’âme, et par Jules Vallès qui dans son roman – précisément intitulé « l’insurgé » – célèbre la mission insurrectionnelle de l’écriture.

Arthur Rimbaud :

un jour j’espère […] je serai un travailleur.
C’est l’idée qui me retient quand les colères
folles me poussent vers la bataille de Paris,
où tant de travailleurs meurent
pendant que je vous écris !

Arthur Rimbaud
(Lettre à son professeur)

Les Mains de Jeanne-Marie (Extraits)

La commune : un creuset d’émancipation féminine

On se souvient de Louise Michel (passionaria de la commune : voir notre précédent numéro) mais bien des femmes se distinguent dans la révolte communarde : elles sèment le grain de l’émancipation féminine qui, par la suite, connaîtra de grandes avancées. Les Versaillais les appellent « les femelles » ou « les pétroleuses » et Alexandre Dumas fils écrit à leur sujet « nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent – quand elles sont mortes » Parmi ces femmes, nombreuses sont celles – dont Louise Michel – qui nous ont laissé chansons et poèmes inspirés de leurs combats; dans Le Prolétaire du 15 mars 1871, Émile Picard (*) leur rend un vibrant hommage : 

(*) Mathématicien français
En date du 10 mai 1871, les membres de la Commune du XIe arr. de Paris désignèrent E. Picard pour faire partie du bureau militaire de la XIe légion fédérée (J.O. Commune, 11 mai).
Picard collabora au Prolétaire, « organe des revendications sociales (XIe arr.) ».
                                                      

En leur honneur posthume, une association féministe de Marseille écrit « la chanson des pétroleuses sur l’air de « La Carmagnole ».

Postérité de Jean-Baptiste Clément :

Écrite par Jean-Baptiste Clément, la chanson « le temps des cerises », qui connaît une postérité considérable, est créée en 1866, bien avant la Commune, dont elle est devenue l’hymne quasiment officiel. En réalité, son auteur la dédia à une jeune communarde rencontrée sur les barricades ; le poète lui-même explique sa dédicace :

« Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu’est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d’autres, fusillée par les Versaillais ? N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ? »

Le caractère douloureux de la dernière strophe pourrait – aux dires des exégètes – expliquer la relation faite entre la Commune et la chanson exprimant la nostalgie d’espoirs perdus :

J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m’étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur

C’est dans « la semaine sanglante » qu’il manifeste avec véhémence son soutien aux révoltés : La Semaine Sanglante

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblants.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tout sanglants.

Refrain
Oui mais !
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare ! à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront.
Quand tous les pauvres s’y mettront.

Les journaux de l’ex-préfecture
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par l’aventure,
Les complaisants, les décorés
Gens de Bourse et de coin de rues,
Amants de filles au rebut,
Grouillent comme un tas de verrues,
Sur les cadavres des vaincus.

Refrain

On traque, on enchaîne, on fusille
Tous ceux qu’on ramasse au hasard.
La mère à côté de sa fille,
L’enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d’empereurs.

Refrain

Nous voilà rendus aux jésuites
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.
Dès demain, en réjouissance
Et Saint-Eustache et l’Opéra
Vont se refaire concurrence,
Et le bagne se peuplera.

Refrain

Demain les manons, les lorettes
Et les dames des beaux faubourgs
Porteront sur leurs collerettes
Des chassepots et des tambours
On mettra tout au tricolore,
Les plats du jour et les rubans,
Pendant que le héros Pandore
Fera fusiller nos enfants.

Refrain

Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.

Refrain

Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé ?
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail 

Refrain

On peut se demander si un texte aussi subversif, aussi ouvertement insolent à l’égard des institutions, aurait aujourd’hui « droit de cité » …

Renommée de l’Internationale

La célébrité de ce chant éminemment révolutionnaire, et composé pendant la Commune, éclipse un peu le reste de l’œuvre de son parolier, Eugène Pottier. D’autres textes célèbrent aussi l’idéal socialiste qui parcourt la fin du 19è siècle. Ainsi Benoît Malon publie, le 11 juin 1870, dans le journal « le Socialiste », « un chant socialiste » où éclate l’espoir d’un monde meilleur et de « ces lendemains qui chanteront ».

Quant à Eugène Pottier, il confie à la postérité (voire à l’éternité) la gloire et la mémoire de cette révolution éphémère que fut la Commune, convaincu « qu’elle n’est pas morte »

Retrouvez l’intégralité des 5 textes en photos en cliquant sur ce lien

Aujourd’hui

Il semblerait que la commémoration des 150 ans de la Commune ranime en même temps que le souvenir de la barbarie qui l’a réprimée, les idées fortes de sa signification. A lire les textes de l’époque, on mesure qu’elle fût marquée en quelques jours par une flambée des revendications révolutionnaires dans la lignée de 89 et des Lumières. Les rebelles de mai 68 ne s’y trompent pas et s’y réfèrent dans leurs slogans.

Aujourd’hui, un grand nombre de chanteurs ont mis « le temps des Cerises » dans leur répertoire. Marc Ogeret, en 1968, enregistre un disque intitulé « autour de la Commune : 1846/1888 » qui réunit les chants révolutionnaires de l’époque.

Jean Ferrat enfin – et toujours – ouvertement fidèle à ses convictions politiques, rend un fervent à la Commune et à ses chantres ; C’est en 1971, à l’occasion du centenaire de l’événement que le chanteur enregistre « la commune » où se conjuguent avec talent la subversion et la poésie.

Jean Ferrat
LA COMMUNE

Paroles : Georges Coulonges

Il y a cent ans commun Commune
Comme un espoir mis en chantier
Ils se levèrent pour la Commune
En écoutant chanter Pottier
Il y a cent ans commun Commune
Comme une étoile au firmament
Ils faisaient vivre la Commune
En écoutant chanter Clément

C’étaient des ferronniers
Aux enseignes fragiles
C’étaient des menuisiers
Aux cent coups de rabots
Pour défendre Paris
Ils se firent mobiles
C’étaient des forgerons
Devenus des moblots

Il y a cent ans commun Commune
Comme artisans et ouvriers
Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Pottier
Il y a cent ans commun Commune
Comme ouvriers et artisans
Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Clément

Devenus des soldats
Aux consciences civiles
C’étaient des fédérés
Qui plantaient un drapeau
Disputant l’avenir
Aux pavés de la ville
C’étaient des forgerons
Devenus des héros

Il y a cent ans commun Commune
Comme un espoir mis au charnier
Ils voyaient mourir la Commune
Ah! Laissez-moi chanter Pottier
Il y a cent ans commun Commune
Comme une étoile au firmament
Ils s’éteignaient pour la Commune
Écoute bien chanter Clément

Signalons que Georges Coulonges, parolier de cette chanson, a écrit un roman intitulé « Les boulets rouges de la Commune ».

Faut-il penser que c’est à cause de ce texte – et de bien d’autres, plus insolents encore –, et parce que le chanteur-poète n’a jamais ouvert « la porte à droite », que le gouvernement de Sarkozy n’a pas daigné envoyer un représentant aux obsèques du grand poète français ? Le peuple de gauche cependant ne lui a pas fait défaut réalisant les véritables obsèques nationales que Jean Ferrat méritait : s’il est encore des héritiers spirituels de la Commune, il en fait partie.