Enfants réunionnais
Ces enfants qui n’ont pas eu de droits
par Roland Moulin
Entre 1963 et 1984, plus de 2 000 enfants réunionnais, âgés de 2 à 17 ans, sont transférés en métropole, afin de servir un projet politique. Durant cette période, Michel Debré est député de l’île de La Réunion. Il souhaite instaurer un pouvoir fort. Précisons ici que son arrivée comme député en 1962 est marquée par son profond désaccord à l’égard de l’indépendance de l’Algérie.
Dans les années 1960, La Réunion, département français depuis 1946, rencontre de nombreuses difficultés : explosion démographique, situation économique grave avec un manque de qualification des hommes et des inégalités de salaires importantes. À la même époque, la métropole connaît une désertion des campagnes, par l’exode vers les villes. Le département de la Creuse, notamment, est une zone géographique considérée comme appartenant à la « France du vide ».
Ainsi, durant les décennies 1960 et 1970, l’État organise officiellement l’émigration de quelque 75 000 Réunionnais par l’intermédiaire du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer).

C’est dans le cadre de cette émigration, que 2 015 enfants sont transférés en métropole, avec l’appui de l’institution de la protection de l’enfance : l’Assistance publique jusqu’en 1964, puis de la DDASS (Direction départementale des affaires sociales et sanitaires). Les assistantes sociales arpentent l’île, à la rencontre des familles fragilisées par la précarité sociale pour, dans un premier temps, placer leurs enfants dans des foyers de La Réunion. De fréquentes pressions de la DDAS sur les parents, souvent illettrés, amènent ces derniers à autoriser en confiance le départ de leurs enfants vers la France métropolitaine. Les discours tenus laissent penser à ces parents que leurs enfants seront recueillis temporairement pour leur bien. Or, le document signé sans avoir pu être lu entérine une séparation définitive d’avec leurs enfants, d’autant plus qu’une ordonnance du 15 octobre 1960 stipule la clôture de toute revendication : quiconque faisant état d’un dysfonctionnement est soumis à des répressions et à la prison ou à l’exclusion du territoire. Dès lors, ces enfants deviennent pupilles d’état. Le Parti communiste accuse Michel Debré d’organiser une « traite » de travailleurs réunionnais vers la métropole.
Cette décision catastrophique restera longtemps « silenciée ». Mais le 18 février 2014, l’Assemblée nationale propose une résolution de loi dans laquelle elle demande que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée, considérant que l’État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles.
Le rapport d’expertise est rendu le 10 avril 2018 : aucun élément valant preuve de vol d’enfant, d’enlèvement, n’a été trouvé dans les dossiers.
Marion Feldman, Malika Mansouri« Une clinique du colonial : panser les après coups.
Les enfants réunionnais transplantés en métropole », Le Coq-héron 2018/3
(N° 234), p. 26-34.
La stèle des « Enfants de La Creuse »

Cette commande me tient particulièrement à cœur.
Nelson Boyer
Quand j’ai été choisi comme artiste pour la réalisation de cette stèle, ce fut un immense honneur et une très grande responsabilité.
J’allais avoir le privilège d’acter une histoire de France, celle de tous ces enfants déracinés et de rendre hommage à des milliers de victimes.
Dans la réalisation de cette sculpture je voulais respecter le contexte de l’époque comme le short du garçon, les savates doigts d’pieds, les valises, symboliser la déchirure de la petite fille qui s’accroche à sa valise, malgré le grand frère qui tente de la rassurer avec sa valise à ses pieds qui lui annonce son sort également.
Merci de me compter parmi vous dans ce noble combat.
La FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des DROM (Départements et Régions d’Outre-Mer) est créée en août 2015.
La résolution de l’Assemblée nationale du 18 février 2014
prise à l’initiative de George Pau-Langevin, ministre de l’Outre-mer
Le 18 février 2014, l’Assemblée nationale adopte – à 125 voix contre 14 – la résolution proposée par Ericka Bareigts (députée socialiste de La Réunion), qui reconnaît la « responsabilité morale » de l’État français :
« L’Assemblée nationale,
Signé Claude Bartolone, président de l’Assemblée Nationale
[…]
Considérant que l’État se doit d’assurer à chacun, dans le respect de la vie privée des individus, l’accès à la mémoire ;
Considérant que les enfants, tout particulièrement, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes ;
Considérant que dans le cas du placement des enfants réunionnais en métropole entre 1963 et 1982 ce droit a été insuffisamment protégé ;
Demande que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée ;
Considère que l’État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles ;
Demande que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle. »
Remerciements à Valérie ANDANSON, secrétaire, chargée de la communication de la FEDD.
