Auvergne laïque n° 485 - juillet 2020 / EDITO

Péril en la Planète

Alain Bandiéra et le comité de rédaction

Après la terreur des attentats islamistes, le danger d’une pandémie plonge les hommes du monde entier dans la peur. A la faveur d’une  menace partagée, l’épidémie révèle l’universalité de l’humaine condition,  le bourgeois de l’île de France  frappé tout autant que le plus humble et le plus sauvage des arborigènes, sans le moindre indice de supériorité dont se targuent si souvent les hommes prétendument civilisés… Jamais la métaphore du fléau n’a été aussi bien appropriée à une situation comme  à celle que nous vivons  Dans les catacombes de l’Abbaye de La Chaise-Dieu, une fresque hallucinante surgit de l’obscurité pour nous rappeler  que la danse macabre ne suspend jamais son infernale cadence.  « je vois cette faucheuse… » pourrait encore s’écrier Victor Hugo,

Et voilà que la vie, voilà que la civilisation sont frappées de dérision par un organisme infiniment petit, invisible et embusqué, créature issue des mythes les plus diaboliques de la littérature fantastique ou des paraboles antiques. C’est pourquoi  un philosophe a pu assimiler  l’épidémie à la   manifestation  contemporaine du tragique.

L’épidémie en tout cas  échappe à toutes nos résistances ;  des humoristes ont bien tenté d’avancer quelques boutades, mais le cœur n’y était pas, et le sourire s’est crispé. Aucun adage ne parvient à illustre les ravages du virus, le malheur qu’il sème n’est bon à rien. Et c’est  à travers   la relecture de « la peste » que nous avons cherché la trace d’une signification et d’un espoir infime.

Les médias ont beaucoup parlé de « leçons à tirer » ; le virus pourtant n’est pas pédagogique et les hommes ont dû affronter des prises de conscience paradoxales. C’est ainsi qu’ils ont mesuré, à la faveur d’une solitude vite devenue pesante, ce qu’on peut appeler d’un titre de film « le goût des autres » ; ils ont mesuré le prix de l’amitié, l’importance de la famille, auxquelles ils se consacraient  de manière anodine dans la vie ordinaire ;  ils ont déploré la fin des rencontres amoureuses dont la vie s’agrémente, s’enrichit et se perpétue. Cruellement privées des rites que le deuil exige et dont il s’apaise, des familles entières se sont vues interdire d’assister aux  funérailles de leurs proches.

Mais en même temps, les hommes ont éprouvé,  dans des contraintes d’exiguité et de  proximité, le poids des institutions humaines : la fragilité du couple, la difficulté d’être parents dans la continuité, la recrudescence des violences intimes révélant que la barbarie demeure, dans les êtres humains, toujours à l’affût.

L’épidémie a désigné enfin  nos véritables héros, celles et ceux qui ont persévéré dans l’exercice de leurs tâches – de leurs missions – et ont permis à la vie de ne pas capituler entièrement. Parmi eux, tous les soignants certes, mais aussi – le fait est à souligner – les enseignants dont on a reconnu – enfin – les mérites et le rôle.

La laïcité – qui demeure une de nos préoccupations essentielles – est-elle de cette actualité-là, ou ses adversaires vont-ils une fois de plus dénoncer son archaïsme ? S’il est vrai que la propagation de la maladie est due, en France, à un rassemblement religieux, nous avons été épargnés des grandes hystéries médiévales censées conjurer les fléaux, et nous  nous réjouissons  que les religions n’aient pas brandi l’évidence d’un châtiment qui punirait les hommes de toutes leurs fautes. Certes, il est des pays où on n’a pas fermé les écoles, estimant que priver les enfants de l’enseignement du prophète était bien plus dangereux que de les exposer au virus. Qu’il nous soit permis de ne pas adhérer à cette préférence, de continuer à croire à la science et à la recherche et de résister aux tentations de l’obscurantisme. Dans un monde malmené, nous voulons que la laïcité conserve son  droit de cité afin de  maintenir  résolument les lumières de son règne pacifique.