Des femmes au Panthéon
Dossier constitué par Alain Bandiéra d’après les textes de Françoise Fernandez, professeure d’histoire, février 2020
Le 12 juillet 2018, la dépouille de Simone Veil entrait au Panthéon accompagnée de celle de son mari Antoine. Trois ans plus tôt, le 27 mai 2015 pour la première fois, deux hommes et deux femmes étaient entrés ensemble au Panthéon en même temps que Pierre Brossolette et Jean Zay. Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle rejoignaient ainsi Marie Curie et Sophie Berthelot, qui les avaient précédées en cet auguste lieu dédié Aux Grands Hommes par la Patrie reconnaissante. Cet honneur conféré à des femmes pour leur seul mérite peut éclairer la compréhension de l’évolution de la place des femmes dans la cité ; il permet de questionner l’imaginaire d’un pays qui a honoré pour leurs mérites des hommes qualifiés de Grands alors qu’une grande femme ne l’est que par la taille ! et qu’on emploiera plutôt l’expression « une Grande Dame ». Grands Hommes ou héros, héroïnes de l’Histoire de France sont ainsi définis dans la dernière édition du Robert: « l’héroïne est une femme qui fait preuve de vertus exceptionnelles ou le principal personnage féminin d’une œuvre. Quant au héros, il est défini comme un personnage légendaire auquel on prête un courage et des exploits extraordinaires ; un homme qui se distingue par son courage au combat, un homme digne de gloire par son courage et son génie. »
Aujourd’hui en 2020 le Panthéon abrite 75 hôtes dont 5 femmes emblématiques de l’Histoire ou le silence des femmes en référence à l’ouvrage publié en 1999 par l’historienne Michelle Perrot, il est l’un des symboles de la difficulté ancienne des femmes de notre pays à être intégrées à leur juste place dans le roman national et dans la vie politique, scientifique, artistique, à l’égal des hommes.
Comme la basilique de Saint Denis et la Sainte Chapelle sont les nécropoles des rois de France, la Révolution de 1789 instaure ‘un nouveau culte laïc des grands hommes, saints et martyrs de la liberté nouvelle. Le Panthéon a désormais vocation à honorer les grands personnages qui ont marqué l’histoire de France. Y cohabitent l’héritage monarchique et chrétien de la France « fille aînée de l’Eglise » et l’héritage révolutionnaire du XVIIIe, les grandes figures républicaines de la République, écrivains, hommes de sciences et ou hommes politiques, de Voltaire à Jean-Jacques Rousseau, de Victor Hugo à Sadi Carnot, d’Émile Zola à Jean Jaurès, de Jean Moulin à Jean Monnet, de Pierre et Marie Curie à André Malraux ou encore Alexandre Dumas,
Les panthéonisations sont des moments ou le Politique, propose à la Nation, un héros, une héroïne exemplaire incarnant à leurs yeux du moment les Vertus dignes de Mémoire ; elles en disent autant sur la personne honorée que sur l’époque et ceux qui les donnent en exemple. Dis-moi qui tu panthéonises, je te dirai qui tu es. Si certaines sont consensuelles – Victor Hugo, Alexandre Dumas, Pierre et Marie Curie – d’autres sont plus polémiques, et sujettes à crispations, comme celles de Zola en 1908, de Jaurès en 1924, de Jean Zay en 2015.
25 mars 1907, Sophie Berthelot, femme de Marcellin Berthelot, est admise au Panthéon seulement en qualité de « femme de », décédée le 18 mars 1907 ; son mari, chimiste, biologiste, philosophe de l’histoire des sciences et par ailleurs Ministre des Affaires étrangères puis de l’Instruction Publique, meurt subitement quelques minutes après son épouse tant aimée. Pour respecter leur désir de ne pas être séparés après leur mort, les autorités décident d’inhumer le couple au Panthéon. Aristide Briand, alors Président du Conseil, fait son éloge funèbre, éloge daté, révélateur de l’idéal féminin de cet ardent républicain qui, comme bon nombre de ses pairs, déclinait la femme comme Marianne, dont on développait les représentations, en plâtre, muette et sur une étagère dans l’ombre des Grands Hommes !
« Madame Berthelot avait toutes les qualités rares qui permettent à une femme, belle, gracieuse, douce, aimable, cultivée, d’être associée aux préoccupations, aux rêves et aux travaux d’un homme de génie. Elle vécut avec Berthelot dans une communauté de sentiments et de pensées qui les groupa en un couple parfait où n’aurait tressailli qu’un cœur et brillé qu’un seul esprit «
De manière prémonitoire, pourrait-on dire, Nelly Roussel écrivait dans La Libre Pensée du 2 janvier 1907 : « Ah ! Nous en avons trop souvent rencontré de ces prétendus républicains, socialistes, voire libertaires, qui après avoir péroré dans toutes les réunions publiques sur l’égalité, la fraternité… oublient en rentrant chez eux toutes leurs belles théories, parlent en maîtres, se font servir, oppriment et humilient leur entourage… »