L’école encore
Alain Bandiera, pour le comité de rédaction
Sous le gouvernement de Giscard d’Estaing, un député – de droite, faut-il le préciser-, déclarait à l’assemblée nationale que l’enseignement « n’était plus un investissement rentable ». Ainsi s’amorçait un discrédit qui ne cesse de frapper l’école et ses agents, entraînant une véritable désacralisation de l’institution scolaire et de sa vocation.
On n’a pas oublié les imprécations lyriques de Victor Hugo, défendant ardemment l’école de la République, au service de tous les enfants, accueillant les plus démunis longtemps écartés de voies du savoir.
Depuis l’Antiquité, tous les régimes politiques ont mesuré l’importance de l’école, y compris les régimes despotiques qui l’ont instrumentalisée ; Une école favorisant certes les élites et confiant presque toujours au clergé le soin de l’enseignement et de l’éducation. « De toutes nos institutions, l’éducation publique est la plus importante. Tout dépend d’elle, le présent et le futur. Il est essentiel que les idées morales et politiques de la génération présente, ne soient plus dépendantes des nouvelles du jour ou des circonstances du moment….. » Ainsi s’exprimait Napoléon, dont la gloire militaire a éclipsé la préoccupation éducative, et dont les philosophes ne renieraient pas les propos. L’empereur se consacra très activement à l’organisation de l’école, en particulier de l’enseignement secondaire et même supérieur. Quand Hugo affirmait que « les maîtres d’école sont les jardiniers en intelligence humaine », Napoléon de son côté soulignait l’importance des enseignants, le rôle majeur qu’ils avaient à jouer, et suggérant même à leur encontre une exigence de célibat qui leur aurait permis d’exercer pleinement ce qu’il conviendrait alors de considérer comme un sacerdoce :on ne tarderait pas à sentir l’importance de la corporation de l’enseignement, lorsqu’on verrait un homme, d’abord élevé dans un lycée, appelé par ses talents à enseigner à son tour, avançant de grade en grade, et se trouver, avant de finir sa carrière, dans les premiers rangs de l’État.
L’apologie d’une école de la République, réalisant la mise en œuvre de la devise républicaine, facteur de progrès social autant que de justice, nourrit évidemment les convictions des grands fondateurs de notre école laïque, gratuite et obligatoire ; elle éclate dans les propositions de Condorcet, elle enflamme les discours de Jaurès, elle s’exprime dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs.
On se souvient aussi de l’hommage rendu par Albert Camus à son propre instituteur, et de tant d’autres écrivains célébrant la découverte des savoirs, l’enchantement qu’ils en éprouvaient et exprimant leur gratitude envers l’école et ses maîtres.
Cependant, notre école n’a cessé, dès son avènement, d’être l’objet d’attaques ; de la part d’abord de la coalition cléricale longtemps opposée à « la laïque », école diabolique de la corruption des esprits. De nos jours encore, la laïcité ne cesse d’être mise en questions, de la part même des pouvoirs qui devraient veiller à sa sauvegarde. Accusée d’inutilité, d’immobilisme, frappée d’archaïsme, obéissant aux injonctions de la modernité, l’école a dû souffrir toutes sortes d’engouements qui ont favorisé, dans son enceinte, les intrusions les plus néfastes. Au cours de sa campagne électorale, Ségolène Royal préconisait « un ordinateur par élève », cédant à l’illusion numérique dans le domaine de l’efficacité des apprentissages. Devenus experts dans ce domaine, les élèves ont une pratique très diversifiée de l’ordinateur. Le philosophe Alain soutenait que l’école devait être « résolument retardataire » ; et pourtant, on a voulu l’ouvrir sur le monde du travail, on a tenté d’y introduire, sans lendemain, toutes les formes d’expression susceptibles de lutter contre l’échec scolaire : expériences fugaces défendues par des réformes successives qui s’avéraient stériles autant que capricieuses.
Les offenses faites à l’école ne dépassaient pas jusque-là une dimension symbolique dont on n’a pas mesuré la gravité. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au pire ; aujourd’hui un enseignant est sauvagement décapité ; l’événement plonge l’opinion et l’institution dans la terreur… et la prudence. Un élève poignarde son professeur en pleine classe ; un autre, voilà quelque vingt ans, tue son ancien professeur d’anglais en pleine liesse des fêtes de Dax. On ne compte plus les injures, les insultes, les violences perpétrées par les élèves mais aussi par leurs parents.
C’est dire que les coups portés à l’école le sont par ceux-là mêmes à qui elle destine sa mission. Nous sommes loin de l’optimisme éducatif de Victor Hugo, convaincu qu’en ouvrant la porte d’une école on fermait celle d’une prison : aujourd’hui l’école doit lutter en son sein contre toutes les formes d’infractions et de délinquances.
Pour toutes ces raisons, l’école et ses professeurs mériteraient le soutien assidu, autant que l’estime, d’un pouvoir politique qui restaurerait l’exercice de leurs missions éducatives et réhabiliterait leur crédit et leur prestige. L’état actuel de l’institution scolaire illustre la thèse de Jean-Marie Domenach qui, dans son livre intitulé « le retour du tragique », montre que les idéologies les plus généreuses, les projets les plus humanistes, succombent sous la barbarie qu’ils se proposaient de combattre ; c’est sans doute le paradoxe le plus terrible qui frappe aujourd’hui le destin de notre école.