Auvergne laïque n° 488 - juin 2021 / EDITO

Technocratie et politique

« Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans 5 ans, faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs. » (Coluche)

La définition d’un technocrate n’est pas très élogieuse : personnage politique ou haut fonctionnaire qui fait prévaloir les données techniques ou économiques sur les facteurs Humains.

La technocratie a la réputation d’être sourde. Pour comprendre un technocrate il n’y a qu’un technocrate, un « crâne d’œuf » qui n’a jamais mis un pied sur le terrain. Pour ne rien gâcher, la technocratie dirige et gouverne en exerçant la subtile langue de bois. Ce n’est rien de plus que la maîtrise en politique de la bataille de mots. Quand on vit dans une caste avec des revenus et avantages indécents, c’est effectivement impossible de comprendre le supplice des fins de mois difficiles, la galère de millions de concitoyens. Quand on ignore aussi le prix de la baguette et du croissant, tout s’explique mais c’en est insolent.

Bercy concentre un pouvoir inébranlable. Entendre Emmanuel Macron et ses proches critiquer la technocratie est assez ironique, alors qu’ils en sont des purs produits. L’annonce du Président de la République de supprimer l’E.N.A. ne garantit pas la baisse de surproduction de technocrates, comme fut celle du beurre dans les annales du pays. Malgré toutes les dispositions prises pour réduire les stocks de beurre, ils continuaient à gonfler. Un technocrate décida d’éradiquer le mal à la racine en organisant une réflexion, pour ne pas dire une méditation profonde, autour d’une table avec, bien entendu, d’autres technocrates.

(1) « – Prenons le problème à l’envers, dit une voix. D’où vient le beurre ?
Les technocrates tenaient leur idée de départ.
– De la crème, suggéra l’un d’eux.
On vérifia. C’était bien avec la crème qu’on faisait le beurre.
D’où vient la crème ? Du lait. D’où vient le lait ?
De la vache. Supprimons les vaches : on réduira la masse de beurre.
Les exploitants agricoles reçurent une prime pour chaque vache laitière abattue. Le stock de beurre diminua. Le technocrate eut de l’avancement et devint ministre de l’Agriculture quelques années plus tard.
Tout allait bien, lorsque, soudain, on manqua de veaux. Le veau devenant introuvable, son prix augmenta dans des proportions inquiétantes pour l’indice mensuel.
Le ministre réunit les fédérations agricoles et tapa sur la table :
– Le prix du veau passe les bornes ! Pourquoi ?
– Parce qu’y en a plus, répondit un paysan. 
– Et pourquoi n’y a-t-il plus de veaux ? Les fédérations agricoles seraient-elles tentées de faire monter les prix en bloquant la production ?
– Non, dit le paysan. Y a plus de veaux parce qu’on a abattu les vaches.
Le ministre fit les yeux ronds :
– Quel est le rapport ?
Le paysan expliqua alors que ce sont les vaches qui mettent les veaux au monde.
– Ah ! bon, dit le ministre découragé. On ne me tient jamais au courant de rien ! »

Mieux vaut en rire… Les technocrates sont formatés à produire des idées indigestes. Ils imaginent le « Demain » mais l’empathie reste la grande oubliée. Vauvenargues disait : « la science des projets consiste à prévenir les difficultés de l’exécution ». De toute évidence, prévoir l’imprévisible ne découle pas naturellement de leur culture. Peu importe, puisqu’ils ne supportent pas le poids de leurs aberrations. C’est comme si des poules pondaient des œufs vides, donc panique dans la filière volaille, et des conséquences sur le marché de l’œuf et du poulet. Voici une sérieuse cogitation pour les cerveaux des technocrates. Espérons qu’ils ne suppriment pas toutes les poules!

(1) « Quel économiste pourrait expliquer que le prix des œufs augmente, alors que le prix des poulets diminue? […] Quand le prix de l’œuf monte, le prix du poulet devrait donc monter aussi, compte tenu des soins prodigués et du prix du grain. Or, sous l’œil ahuri de l’économiste, plus le poulet grandit plus son prix diminue. De ce fait, les exploitants agricoles ont tout intérêt à vendre leurs œufs avant que le poulet en sorte : quand tout le monde vend ses œufs, le poulet se fait rare, et son prix monte, pendant que celui de l’œuf descend.

Excédé par le rappel à l’ordre de son confrère des finances, le ministre de l’Agriculture a voulu connaître le fin mot de l’affaire. Il convoqua une quinzaine de stagiaires de l’E.N.A. avec mission d’élucider ce mystère. Tous, bien entendu, n’avaient jamais vu un œuf ni un poulet ailleurs que dans leur assiette. […] ils essayèrent de déterminer que faire pour qu’un poulet soit aussi rentable qu’un œuf, proportionnellement au coût de son élevage, diminué du fait qu’une jeune poule pond à son tour des œufs plus rentables qu’elle. « Tachez de me « pondre » un rapport intelligent » avait dit le ministre.

Ils restèrent enfermés six jours […] Un huissier courageux regarda par le trou de serrure et, relevant un visage livide, dit : « Je ne vois que des œufs… des œufs énormes ! » Hélas! Ce n’était que leurs crânes penchés dans l’effort de la pensée. »

(1) Jean AMADOU : Il était une mauvaise foi.

                                                                                             Edouard FERREIRA