« Crénom Baudelaire » Jean Teulé – Mialet Barrault, Éditeurs
par Marcel Col
On célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire (9 avril 1821). En témoignent plusieurs études récentes, rééditions et publications bibliographiques, que l’on peut trouver dans toutes les librairies. Jean Teulé que l’on connaît comme journaliste mais aussi comme romancier, s’est livré de son côté à une mise en scène littéraire (c’est bien le moins !) de la vie et de l’œuvre de cet auteur qu’on peut juger pour l’une et l’autre également scandaleuses.
Le roman, car c’en est un avec les libertés que s’autorise un romancier, suit les épisodes de l’écriture des « Fleurs du mal » et de leur publication controversée (certains poèmes ont été interdits) avec l’aide de l ‘éditeur Auguste Poulet-Malassis que le poète interpellait grossièrement avec le sobriquet de « Coco Mal Perché » … C’est quand même l’éditeur qui a fait à la place de l’auteur de la prison pour dettes !
Tout commence si l’on peut dire selon Teulé, dans l’église de l’Institut-couvent Saint Jean-et-Sainte Elisabeth de Bruxelles où le jeune Charles s’ébahit devant le portrait d’une Vierge à l’enfant peinte vaguement façon Renaissance et « ne fixe son regard que sur le cul de la Marie mis très en évidence par un souffle de vent pénétrant dans l’étable et plaquant la robe translucide… »
Crénom ! Crénom !
Très jeune, Charles Baudelaire voit avec désespoir sa mère adorée, devenue veuve, épouser un certain Jacques Aupick, chef de bataillon scintillant de l’Ordre de Saint-Louis … et promis à une brillant avenir politique. Il se rebelle contre une société bien élevée qu’il passera le reste de sa vie à injurier : « Il règne ici une destruction. Chers mignons, vous puez tous la mort ! O squelettes musqués ! » lance-t-il un jour aux invités de son beau-père.
Le récit de Jean Teulé est émaillé des poèmes illustrant avec le talent que l’on sait les divers épisodes de cette existence fiévreuse et agressive : « Une charogne », « L’albatros », « A une passante », « Les petites vieilles » ou « L’invitation au voyage »…
« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble… ».
Baudelaire mène une vie de débauché : l’alcool, les drogues de son temps et surtout les femmes dont un lecteur croisé dans la rue me disait l’autre jour qu’ « il serait de nos jours lourdement condamné… »
Ses « conquêtes » sont surtout des prostituées mais une seule comptera véritablement, c’est Jeanne Duval une comédienne mulâtresse « à la grâce molle et séductrice » avec laquelle il se marie et qu’il suit jusqu’à la fin. Teulé raconte qu’au moment où le poète pousse son dernier soupir elle rôde, se guidant le long d’un mur, presque aveugle et à moitié folle… Et il emprunte à Verlaine ces quelques vers des Poèmes saturniens : « Si vous la rencontrez, bizarrement parée […] Messieurs ne crachez pas de jurons ni d’ordure […] Cette bohème-là c’est mon tout, ma richesse […] Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur » …
On voit aussi défiler avec Baudelaire toute une société d’artistes : Daumier, Courbet qui dut faire et refaire plusieurs fois le portrait du poète avec sa maîtresse… puis sans elle… puis avec elle… au gré des amours et des ruptures du couple. On croise aussi Berlioz, Delacroix, Théophile Gautier, le photographe Nadar, les frères Goncourt et l’ami et conseiller de toujours Charles Asselineau… Et nous empruntons à Laurence Coupérier du journal La Montagne ce commentaire final : « […] ça jure, ça pue, ça crie, ça tire le diable par la queue, ça crève de la petite vérole […] Cette boue de Paris dont le poète des Fleurs du Mal voulait faire de l’or a des relents de charogne et la poésie est au rendez-vous » (La Montagne du 3 janvier 2021)