Péril en la Planète
Alain Bandiéra et le comité de rédaction
Après la terreur des attentats islamistes, le danger d’une pandémie plonge les hommes du monde entier dans la peur. A la faveur d’une menace partagée, l’épidémie révèle l’universalité de l’humaine condition, le bourgeois de l’île de France frappé tout autant que le plus humble et le plus sauvage des arborigènes, sans le moindre indice de supériorité dont se targuent si souvent les hommes prétendument civilisés… Jamais la métaphore du fléau n’a été aussi bien appropriée à une situation comme à celle que nous vivons Dans les catacombes de l’Abbaye de La Chaise-Dieu, une fresque hallucinante surgit de l’obscurité pour nous rappeler que la danse macabre ne suspend jamais son infernale cadence. « je vois cette faucheuse… » pourrait encore s’écrier Victor Hugo,
Et voilà que la vie, voilà que la civilisation sont frappées de dérision par un organisme infiniment petit, invisible et embusqué, créature issue des mythes les plus diaboliques de la littérature fantastique ou des paraboles antiques. C’est pourquoi un philosophe a pu assimiler l’épidémie à la manifestation contemporaine du tragique.
L’épidémie en tout cas échappe à toutes nos résistances ; des humoristes ont bien tenté d’avancer quelques boutades, mais le cœur n’y était pas, et le sourire s’est crispé. Aucun adage ne parvient à illustre les ravages du virus, le malheur qu’il sème n’est bon à rien. Et c’est à travers la relecture de « la peste » que nous avons cherché la trace d’une signification et d’un espoir infime.
Les médias ont beaucoup parlé de « leçons à tirer » ; le virus pourtant n’est pas pédagogique et les hommes ont dû affronter des prises de conscience paradoxales. C’est ainsi qu’ils ont mesuré, à la faveur d’une solitude vite devenue pesante, ce qu’on peut appeler d’un titre de film « le goût des autres » ; ils ont mesuré le prix de l’amitié, l’importance de la famille, auxquelles ils se consacraient de manière anodine dans la vie ordinaire ; ils ont déploré la fin des rencontres amoureuses dont la vie s’agrémente, s’enrichit et se perpétue. Cruellement privées des rites que le deuil exige et dont il s’apaise, des familles entières se sont vues interdire d’assister aux funérailles de leurs proches.
Mais en même temps, les hommes ont éprouvé, dans des contraintes d’exiguité et de proximité, le poids des institutions humaines : la fragilité du couple, la difficulté d’être parents dans la continuité, la recrudescence des violences intimes révélant que la barbarie demeure, dans les êtres humains, toujours à l’affût.
L’épidémie a désigné enfin nos véritables héros, celles et ceux qui ont persévéré dans l’exercice de leurs tâches – de leurs missions – et ont permis à la vie de ne pas capituler entièrement. Parmi eux, tous les soignants certes, mais aussi – le fait est à souligner – les enseignants dont on a reconnu – enfin – les mérites et le rôle.
La laïcité – qui demeure une de nos préoccupations essentielles – est-elle de cette actualité-là, ou ses adversaires vont-ils une fois de plus dénoncer son archaïsme ? S’il est vrai que la propagation de la maladie est due, en France, à un rassemblement religieux, nous avons été épargnés des grandes hystéries médiévales censées conjurer les fléaux, et nous nous réjouissons que les religions n’aient pas brandi l’évidence d’un châtiment qui punirait les hommes de toutes leurs fautes. Certes, il est des pays où on n’a pas fermé les écoles, estimant que priver les enfants de l’enseignement du prophète était bien plus dangereux que de les exposer au virus. Qu’il nous soit permis de ne pas adhérer à cette préférence, de continuer à croire à la science et à la recherche et de résister aux tentations de l’obscurantisme. Dans un monde malmené, nous voulons que la laïcité conserve son droit de cité afin de maintenir résolument les lumières de son règne pacifique.