Auvergne laïque n° 491 - janvier-mars 2023 / DOSSIER

L’hommage du cercle Pierre Mendès-France

 «  Mendes-France a laissé une trace, qui s’efface, alors que de Gaulle a laissé une marque, pour partie encore bien visible. » Ainsi pourrions-nous, d’après les propos du conférencier, caractériser le destin, et la postérité de Pierre MENDES-FRANCE, tels que les évoque aussi l’historien Jean-Pierre Rioux, opposant deux géants de notre histoire.

LA GRANDEUR ET L’OUBLI

Ainsi pourrions-nous, d’après les propos du conférencier, caractériser le destin, et la postérité de Pierre MENDES FRANCE, tels que les évoque aussi l’historien Jean-Pierre Rioux, opposant deux géants de notre histoire : «  Mendes France a laissé une trace, qui s’efface, alors que de Gaulle a laissé une marque, pour partie encore bien visible. »

Pourtant – Michel Promérat le rappelle – Mendès France fut un grand homme politique, d’action et de vertu « il fut incontestablement important dans la vie de notre pays, … on lui doit quelques décisions de grande importance, la paix en Indochine, l’autonomie interne de la Tunisie, les accords de Paris qui intègrent l’Allemagne dans l’UEO (Union de l’Europe Occidentale), l’engagement des travaux préparatoires à l’élaboration de l’arme nucléaire, plus tard son engagement en faveur de la paix au Proche-Orient ; … son personnage est aujourd’hui une incarnation de la rigueur et de l’honnêteté en politique ».

Parce qu’il a du mal à accepter l’oubli qui a frappé Mendès France, Michel Promérat s’interroge, presque avec mélancolie, sur les raisons de cet effacement: « Comment expliquer que cet homme éminent, intellectuellement agile, courageux, soucieux d’être efficace, n’a pas réussi à laisser derrière lui, la marque de réalisations durables ? A l’égal d’un Jules Ferry, d’un Clemenceau, et bien entendu de de Gaulle »

Une mémoire qui s’éloigne

Rares par exemple, déplore Michel Promérat, sont les établissements scolaires qui portent son nom : aucun à Louviers, sa ville d’élection; deux en Auvergne (un collège à Riom, une école primaire à Clermont-Ferrand).

C’est pourquoi, évitant le parti d’une biographie linéaire, le conférencier va tenter de mettre en lumière les raisons qui pourraient expliquer l’oubli – et l’indifférence – posthumes qui frappent Mendès France. Il en voit 2 principalement :

-sa fidélité à une culture politique qui a pu être un frein, voire un carcan qui l’a empêché d’aller plus loin ;

-l’insuffisance de son assise politique, qui a souvent réduit son parcours à celui d’un homme seul.

L’homme d’une culture

La culture politique de Pierre Mendes France était celle des Républicains tels qu’ils se définissaient depuis la fin du 19e siècle, culture à laquelle il a ajouté son coefficient personnel et quelques novations qui font son originalité. Mais, fondamentalement, il ne remet pas en cause les éléments structurants de cette culture… C’est peut-être là que se trouvent certaines origines d’un parcours politique inabouti.

La culture républicaine de Mendès France imprègne encore aujourd’hui les débats et travaux des cercles qui se réfèrent à ses valeurs :

  • L’héritage des Lumières, de 1789, l’attachement aux idéaux et aux réalisations de la Révolution Française ; ses sources doctrinales étant Rousseau, Condorcet et les Jacobins
  • La suprématie de la raison : Pour Mendes France, l’action politique est affaire de raison et non d’émotion. D’où son souci de la pédagogie : expliquer, expliquer toujours et encore son côté parfois raisonneur, un peu austère, sa méfiance vis-à-vis des emportements lyriques …
  • L ‘attachement à la jeunesse et à l’école, et la défense, sans sectarisme de l’école laïque  où s’éduque la liberté de conscience. Pour lui, la liberté d’opinion doit être totale et le droit de croire ou de ne pas croire est absolu. L’Etat doit être absolument neutre en matière religieuse. Il le réaffirme fortement en 1955 et affirme, dans la tradition radicale, que l’Etat ne doit, d’aucune manière subventionner l’école privée.
  • Le refus de la guerre scolaire : Mendès France ne se réclame pas d’un anticléricalisme primaire (il n’est pas un « bouffeur de curé »), il éprouve simplement une méfiance envers les religions révélées, dont le principe heurte sa raison. Dans sa profession de foi pour les législatives du 2 juin 1946, il écrit : « Nous maintiendrons la laïcité de l’Etat et de l’école ; nous repoussons toute idée de lutte nouvelle à cet égard ».
  • les réticences sur l’Europe telle qu’elle se construit dans les années 1950: on peut voir dans cet attachement à la laïcité l’une des raisons de ses réserves à l’égard d’une Europe qui se construit à partir des options de la démocratie chrétienne
  • le goût de la vérité :

Expliquer, expliquer, dire ce qui est, quitte à déplaire.   « Le premier devoir, c’est la franchise. Informer le pays, le renseigner, ne pas ruser, ne pas dissimuler la vérité ni les difficultés, ne pas éluder ou ajourner les problèmes, car dans ce cas, ils s’aggravent ; les prendre en face et les exposer loyalement au pays, pour que le pays comprenne l’action du gouvernement ». Il publie, le 10 novembre 1951, un article dans La Dépêche de Louviers, intitulé « Dire enfin la vérité au pays ». Et le 16 mai 1953, un entretien dans L’Express intitulé « La France peut supporter la vérité ».

A cela s’ajoutent la fidélité aux valeurs de la devise républicaine – valeurs de Liberté, d’égalité, de Fraternité et l’adhésion entière aux principes fondateurs de la démocratie : l’élection, la souveraineté de la nation (seule source de légitimité du pouvoir qui incite à rejeter toute forme de pouvoir personnel fondé sur la force ou le charisme).

La réforme plus que la révolution : Mendès France n’est pas l’homme des « grands soirs » et ses adversaires lui reprocheront souvent sa prudence réformiste ; il est un homme attaché au changement dans l’ordre, changement qui doit être préparé, organisé, planifié, mis en œuvre avec méthode. Il est un réformiste qui cherche le Progrès par avancées successives.

Il n’a jamais souhaité la Révolution sociale et politique, non seulement par refus de la violence, mais également parce qu’à ses yeux, la révolution ne fait souvent que retarder les évolutions et parce qu’il craint qu’elle ne débouche sur un général à cheval type Bonaparte ou sur un régime d’oppression et de dictature, fut-elle du prolétariat, type 1917.

C’est une des raisons qui expliquent sa relative prudence quant au Front Populaire en 1936, et sa distance à l’égard du parti communiste, jusqu’à refuser des voix qui auraient pu lui être utiles.

Pour Mendès France, la démocratie se fonde aussi sur Le respect d’autrui et de ses opinions. Ses interventions à la Chambre des députés se signalent par l’absence de paroles blessantes à l’égard de ses adversaires politiques, la volonté d’éviter les polémiques; il plaide pour un débat public exigeant, fondé sur l’échange d’arguments plus que sur l’échange d’injures et d’insultes.

– l’universalisme , conviction de Mendès France issue naturellement des valeurs républicaines ; non seulement elles doivent concourir à une émancipation des Français, mais également des autres peuples, pour lesquels la France peut être un modèle et un guide. D’où son attitude en matière coloniale : il a bien compris assez tôt qu’il faut changer la relation entre la France et les territoires qui sont sous sa tutelle, mais il n’est pas pour autant un bradeur d’empires. Il fut l’artisan de la paix en Indochine, mais il souhaite ardemment que la France demeure présente en Tunisie, au Maroc, et jusqu’en 1957, il pense aussi que l’Algérie doit demeurer française. Il sera un des rares hommes politiques à déplorer la contrainte d’un exil inhumain infligée aux pieds noirs dans l’indifférence générale. On retiendra les grandes lignes de sa politique coloniale  dictée par une exigence d’évolution….démocratique :

  • faire la paix en Indochine
  • quitter l’Inde
  • faire évoluer la relation avec les protectorats
  • réformer le système colonial en Algérie : maintenir une présence française, au nom de la défense des intérêts nationaux, mais aussi au nom de l’universalisme français. D’où sa réaction aux événements de novembre 1954 en Algérie

Ainsi est tracé, dans ses grandes lignes essentiellement, le portrait politique de Mendès-France, dont bien des conceptions se révèlent exemplaires, fondatrices d’une république héritière de 1789 qu’il convient d’adapter aux situations et aux objectifs présents. Pour Mendes France, l’action politique consiste à pousser jusqu’à son terme cet héritage de 1789 et d’un siècle et demi de démocratisation, par une action politique afin de donner à ces valeurs et ces principes leur champ d’application maximal. Soit à donner leur extension maximale aux potentialités ouvertes en 1789. En 1956, l’emblème du Front républicain, dont Mendes France est le chef de file, est le bonnet phrygien.

De ces valeurs et de ces principes découlent quelques axes de sa pensée politique qui guident son action .

Le refus du pouvoir personnel :

le refus tant de la monarchie que du bonapartisme ;

le refus du coup d’Etat ou de ce qui peut lui être assimilé ;

  • d’où son refus des conditions dans lesquelles De Gaulle revient au pouvoir en 1958
  • d’où ses réticences à parler de mendésisme, défini comme un mouvement attaché à un homme
  • d’où son refus d’une candidature à la présidence de la république en 1965, sérieusement envisagée notamment par Gaston Deferre, et à laquelle Mendes France se refusera, pour ne pas cautionner un mode d’élection qu’il réprouve. Les conditions dans lesquelles cette réticence initiale furent levées, en 1969, lorsque Mendes France se lança dans l’aventure d’une candidature aux côtés de Gaston Defferre, demeurent encore méconnues.

Le Parlement représentant de la Nation souveraine :

  • Principe de la responsabilité gouvernementale
  • Refus de la monarchie présidentielle, même s’il milite pour corriger les abus du parlementarisme.

-L’attachement aux institutions de la IIIe République et au bicamérisme.

Avec le parti radical, il appelle à voter non aux deux questions posées lors du référendum de 1945, dont l’une mettait fin aux institutions de 1875.

Cependant, le destin de Mendès France sera frappé du paradoxe de la vertu et sa carrière politique va tourner court. Alors que le coup de force qui a conduit à la chute de la IVe République est légitimé par les urnes, en septembre puis en novembre 1958, et encore en 1962, il se refuse à donner sa caution au nouveau régime, trop en décalage avec ses conceptions, avec pour conséquence de se priver d’un rôle dans le nouveau régime, et ce, presque définitivement. Il est possible – et tragique – que son intransigeance, sa conception farouche de la souveraineté et de l’organisation du pouvoir l’aient empêché de trouver un rôle à la dimension de son envergure.

Ainsi Michel Promérat a-t-il passionné son auditoire en traçant le portrait d’un véritable « albatros » de la politique dont la prudence et l’intégrité devraient aujourd’hui servir d’exemple et de référence à tous ceux qui briguent le pouvoir ou en corrompent l’exercice.

Dans la dernière partie de son exposé, Michel Promérat fait l’historique d’une autre fidélité de Mendès France, celle qu’il manifesta à l’égard du parti radical. Cette appartenance ne favorisa pas toujours la réussite de sa carrière politique et il ne trouvera pas, au sein de ce parti, le soutien nécessaire à une carrière politique plus aboutie.

« Quelques éléments de conclusion »

Voici les grandes idées – les grandes vertus – que Michel Promérat, au terme d’un exposé qu’il juge encore incomplet, nous invite à retenir d’un personnage politique hors du commun.

  • une éthique politique qui inspire le respect, par sa haute valeur morale, le souci constant de la démocratie, son sens de l’intérêt général, sa volonté permanente de refuser la médiocrité et les petits compromis.
  • des réalisations importantes : la paix en Indochine, une évolution en matière coloniale.
  • un grand républicain qui a bien mérité de la Patrie
  • pourtant, le sentiment que des attachements à des instruments politiques datés, l’ont empêché à deux ou trois reprises, d’imprimer une marque décisive et durable sur la vie du pays.

Un destin prodigieux, totalement exempt d’ambitions personnelles et que ne devrait pas engloutir « une mémoire qui s’éloigne ».

Synthèse réalisée par Aain Bandièra

avec l’accord de Michel Promérat