Le rapport moral
par Edouard Ferreira, président de la Ligue 63
Le débat sur la notion de résilience est aussi crucial que celui sur les mesures censées endiguer le dérèglement climatique. Face à l’épidémie de Covid-19, au changement climatique, au terrorisme, et à la guerre, la société française est perpétuellement conviée à renforcer sa résilience naturelle. Elle provoque notre capacité à nous adapter, à rebondir et à nous reconstruire après un fort traumatisme. Apprivoiser le pire, plier sans rompre, résister, faire face aux événements douloureux grâce à un brin de positivisme, agir en êtres humains responsables et faire preuve d’empathie, notre résilience s’en retrouve renforcée. Le chemin de l’empathie aboutit vers la bienveillance. Ensemble, elles sont associées à une plus grande entraide collective. Qualité indéniable, la résilience tire sa force intérieure par l’anticipation des difficultés et l’acceptation de l’inexorable. Elle permet de traverser l’adversité dans les épreuves de la vie.
Ces derniers temps, l’infinie patience que recommande l’esprit civique fut souvent évincée par une désobéissance civile. L’exaspération des astreintes répétitives en est la grande coupable. L’accumulation des frustrations détourna la solidarité de début de crise avec nos soignants, perpétuellement au front, usés et démoralisés. Les oublier ou les délaisser dans leur lutte quotidienne démontrerait une ingratitude immorale. Cet abandon transmettrait un signe indigne et aveugle sur leur dévouement, un signe du chacun pour soi, un signe de nombrilisme aigu. Est-ce la fin de la résilience ? La société peut et doit dépasser ses divisions en faisant front au piège de l’égocentrisme, et en résistant au ressentiment de privation de liberté individuelle vécue comme sans fin. Renforcer l’esprit de résilience autour de celles et ceux qui font face quotidiennement à ce fléau depuis deux ans, se conçoit naturellement par une cohésion capitale.
Prendre soin de son nombril doit le rester dans un souci d’hygiène. Lui donner trop de valeur, c’est se priver d’horizon. « Tolérez mon intolérance » écrivait Jules Renard. Certes, mais par définition colère et intolérance nuisent à une bonne compréhension. La tolérance est une vertu qui rend possible le respect et le dialogue. Elle tend à éviter les conflits et maintient l’unité indispensable pour la paix.
La pandémie ne freine plus la reprise d’une vie courante et sociale. Bien au contraire, le traumatisme laissé par la crise sanitaire a exacerbé un aveuglement protecteur. Ces deux années passées furent moralement étouffantes. Durant l’épreuve, des boucliers affectifs se sont élevés contre une soumission catégorique. Le renouvellement perpétuel de nouvelles contraintes et d’isolement forcé ne faisait qu’accentuer les conséquences émotionnelles. L’énergie emprisonnée depuis trop longtemps risquait l’implosion. Malgré les risques récurrents toujours visibles des contaminations quotidiennes et son lot de victimes, ce trop-plein retenu contre son gré nécessite impérativement une libération salvatrice. Dans un contexte psychologique aussi violent, la résilience ne perd-elle pas toute sa vertu et tout son pouvoir vertueux ?
Acteur dans les sphères de la culture, des loisirs et du sport, le monde associatif a largement souffert de l’arrêt forcé des activités. La mise en sommeil laissa des traces indélébiles. Du fait d’une trésorerie fragilisée, des mesures financières ou techniques durent parfois s’imposer pour préserver l’association. Certaines en souffrance, autant budgétaires que perte de volontaires, peinent à se relancer. La relance bien présente ne cache pas les craintes de l’avenir. Redynamiser le lien social avec les adhérents, redonner confiance et stimuler les adhésions indispensables à la vie associative, sont les préoccupations des dirigeants ainsi que l’investissement primordial des ressources humaines bénévoles. Les structures associatives remplissent pleinement leur rôle dans le maintien de la cohésion sociale grâce à une volonté fédératrice indéfectible, et aux valeurs altruistes animées par les bénévoles. L’altruisme est une des clefs d’un monde meilleur avec celle de la résilience. Il n’existe pas d’autre choix que de s’adapter, se réinventer et évoluer dans ce nouvel environnement en pleine mutation.
Le moral des troupes reste le facteur vital au prolongement de toute activité et au frein de l’érosion du bénévolat. Chaque retour d’un adhérent frustré par son isolement, chaque nouvelle adhésion saisie par une frénésie de partage et de convivialité, redonnent un sens au retour du lien social indispensable au tissu associatif et à ses dirigeants. Chacune et chacun, bénévoles et adhérents, font revivre l’ADN du vivre ensemble et faire ensemble. Terreau de solidarité inestimable, tout le réseau associatif réfute toute résignation en favorisant impérativement la résilience. Accomplir sa mission d’émancipation restera toujours sa vocation fondamentale. Il n’existe pas de fatalité mais seulement des fatalistes.
Les interdictions récentes dévoilent d’inquiétantes conséquences sur la vie associative. Au milieu de ce tsunami, la FAL 63 ne fut pas non plus négligée et a dû batailler contre les éléments pour garder l’optimisme essentiel au redressement et à la stabilité budgétaire. Les secteurs sportifs, UFOLEP et USEP, de la maison Ligue de l’enseignement ne furent pas en reste. L’USEP, aux ressources pédagogiques et éducatives à la citoyenneté, fut assurément très impacté par l’étendue de cette période préoccupante. La fermeture des écoles et les directives drastiques qui suivirent auraient pu l’entraîner dans une spirale, peut-être irréversible.
La mobilisation responsable de chacun, salariés et élus, permet une prudente relance mais reconnue complexe car tributaire d’une situation extérieure encore bien embrouillée. Les partenaires historiques de la fédération, conseil départemental et ville de Clermont-Ferrand, subissent également la crise. Malgré le marasme économique, ils restent un fort soutien à notre mouvement d’éducation populaire. Les fonds de solidarité de l’Etat ont contribué à limiter les pertes financières, conséquentes à l’arrêt économique du centre de vacances ″Le Grand Panorama″. Sans leur accompagnement à tous et les liens qui nous unissent dans la cohésion sociale, la Ligue de l’enseignement du Puy-de-Dôme serait économiquement plus inquiétée, plus fragilisée.
Les répercussions économiques et sociales, politiques, épidémiques, mais également géopolitiques ne gagent pas toutes de perspectives d’avenir resplendissantes. La France, pays des lumières et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, se confronte encore à des défis de grande ampleur. Ouverte sur le monde, son histoire humaniste et résistante la met de nouveau à l’épreuve dans une démocratie en tension. Sans parler des tractations électorales entre adversaires arrivistes de la veille sur fonds de joutes verbales acerbes, la capacité de résilience française devra affronter la montée de la xénophobie et du repli sur soi. La tentation de l’obscurantisme isolerait la nation de tout progrès et mettrait en danger les valeurs républicaines. On commence par endormir le peuple par un formatage de l’opinion publique avant de l’enchaîner.
Peut-on imaginer ce que deviendrait la culture, l’éducation populaire confrontée de nouveau aux problèmes de la transformation sociale, la valeur fondamentale de la fraternité républicaine alliée avec la solidarité citoyenne, sans oublier notre bien précieuse laïcité au sein de notre pays ? Il n’existe aucun doute, aucune hésitation, la démocratie et le populisme ne sont pas sur le même plan. Avant de faire croire que la France est un pays de dictature privé de libertés, ce qui paraît insensé, il faut avoir vécu et subi une vie sous un régime totalitaire.
« Il est plus facile de faire la guerre que la paix » selon Clemenceau. La paix mondiale est un idéal humaniste mais pour qu’elle soit réaliste, elle conditionne en priorité l’impossibilité d’une guerre, mais pas son absence de guerre. La leçon de l’histoire universelle démontre dans son lot d’archives qu’une paix perpétuelle est une chimère ; un idéal imaginaire que les humains n’ont pas su caser. Les conflits, tous parqués dans un cercle vicieux destructeur, s’enchaînent, se multiplient et rendent désuet le seul combat mondial légitime pour la sauvegarde de notre planète et de ses habitants. En perpétuant cet acharnement dévastateur, que restera-t-il aux générations futures ? « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » avait écrit St Exupéry.
Le rêve de grandeur d’un mégalomane de renouer avec un Empire d’antan a déclenché l’invasion meurtrière de l’Ukraine par un Etat membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Par cet acte de guerre, l’agresseur sacrifie intentionnellement une précieuse stabilité pacifique reconnue de tous comme déjà boiteuse mais résistante tant bien que mal. Tant que l’équilibre résiste malgré un fort tangage, le maintien d’une paix même trompeuse s’opère. Ajoutée à la pandémie de covid-19, cette agression inconcevable par une vigie du maintien de la paix pourrait estampiller l’achèvement de l’âge d’or de la mondialisation. Les ébranlements enregistrés depuis une dizaine d’années constituent autant de coups de semonce portés à l’économie mondialisée qu’à l’ordre international.
Il y une quarantaine d’années, dans un nouveau sketch qui reste malheureusement toujours d’actualité, l’humoriste Roland Magdane s’était-il inspiré de cet ancien adage romain, « Qui veut la paix, prépare la guerre » ? Son interprétation et son ton inhabituel laissèrent pantois le public tellement la surprise fut colossale. Le rire s’effaçait devant l’émotion et la réflexion. Juste un léger rictus osait s’afficher sur les visages. De toute évidence, son appel à la raison resta inaudible. C’est une triste réalité car aujourd’hui le monde est encore plus fou et notre vie dépend encore des fous.
Les rois des fous :
« Le monde est devenu un grand hôpital psychiatrique où les fous se promènent en liberté.
Chaque pays a élu son chef : le roi des fous. Et pour ne pas que les rois des fous s’ennuient, on leur a donné des jouets : des petits soldats, des camions, des avions à réaction. Et les rois des fous du monde entier s’invitent entre eux pour jouer. Au cours de petits goûters, ils se comparent leurs jouets.
-Tu as vu mon sous-marin ?
-Et toi, tu as vu mon canon comme il tire bien ?
Tous les soirs ils jouent très tard : ils font la bombe. Ils poussent leurs petits soldats qui tombent sous les billes ; quand il n’y en a plus, ils les remplacent. Et puis les rois des fous échangent leurs jouets.
-Je te prête mon pétrole, mais toi tu me prêtes ta bombe à neutrons.
-D’accord, file-moi ton uranium et je te prêterai mes petits camions de soldats.
Et puis il y a des rois des fous qui n’ont rien à échanger, pas de jouets, même pas de quoi manger.
A quatre heures, ils ont droit à un petit goûter à partager en trois. Ils vivent au tiers : c’est le tiers monde. Ils traînent derrière eux, au bout d’une ficelle, un lapin qui joue du tambour. Et en les voyant passer, les rois des fous du monde entier leur jettent, pour s’amuser, des petits noyaux d’olives nucléaires.
Et puis de temps en temps, il arrive un docteur qui veut soigner les fous : on l’appelle Prix Nobel de la paix. On lui met une grosse médaille sur le cœur qui brille au soleil, pour qu’on voit bien l’endroit où il faut tirer pour le tuer.
Et la vie continue ! Les rois des fous du monde entier s’entourent de débiles qu’ils choisissent eux-mêmes : le premier débile, le débile des armées, puis le débile des finances. Ça s’appelle un gouvernement.
Et dans le monde entier, les débiles donnent des conseils aux rois des fous pour gouverner les cons. Et les cons, ne cherchez pas, dans l’histoire c’est toujours nous !
Mais si les cons du monde entier voulaient se donner la main, on obligerait les fous à ranger leurs jouets, leurs chars, leurs canons, leurs avions…
Et nous pourrions enfin nous promener en paix sur les jardins de la terre qui sont si jolis quand on n’y fait pas la guerre. »