Les Années ( Annie Ernaux ) – Gallimard 2008
De l’ascenseur social au Prix Nobel de l’littérature .
Le garçon était devant l’étalage où l’on avait installé les différents livres de l’auteur Annie Ernaux . Il n’en avait lu aucun et se demandait par lequel il fallait commencer.
« Les Années » lui conseilla t-on alors .
La récompense du Prix Nobel vient le confirmer à ceux qui considèrent , à juste titre qu’Annie Ernaux est bien l’écrivain de notre siècle en même temps qu’une militante féministe. Son style est à la fois fluide et agréable. Même si , comme l’a souligné un journaliste en mal de bons mots « je ne reconnais pas ce peuple dont se prévaut Annie Ernaux … sa réussite sociale est une trahison … sa pensée est restée très pauvre » … On croirait lire une de ces déclarations que proférent actuellement certains de nos politiciens gourmands de bons mots qui blessent sans rien démontrer .
« Les Années » est un livre passionnant parce que c’est le nôtre . Les Années ce sont nos années , celles que nous avons vécues avec nos espérances , nos attentes et nos luttes .C’est un livre qui ne peut se résumer . Il s’ouvre et se referme sur une série de flashes et d’images : « le visage de Simone Signoret sur l’affiche de Thérèse Raquin … Quand passent les cigognes … Marianne de ma jeunesse … Madame Soleil est encore parmi nous … ( … ) je me suis appuyée à la beauté du monde … Des gens sans importance … le femme de la photo du massacre de Hocine qui ressemblait à une piétà … Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » Déjà tout un programme .
S’il s’agit pour Annie Ernaux de « sauver quelque chose du temps » c’est à travers le récit de sa propre vie qu’elle nous raconte la nôtre , ponctué d’images photographiques où l’on voit « Un gros bébé à la lippe boudeuse … à moitié nu sur un coussin » , plus loin « une petite fille d’environ quatre ans, sérieuse , presque triste … » et encore plus loin « … en maillot de bain sur une plage de galets »(aout I949 , Sotteville-sur-Mer ) … une vie en images en somme .
On y lit aussi la guerre et la libération , Le Havre rasé, les « Boches en fuite » , la faim , la peur , Pétain … Sans les noms propres on se croirait déjà dans notre temps !
Et puis les chansons « Ah le petit vin blanc » … « Fleur de Paris » … « Et encore un que les boches n’auront pas ! » Les jours heureux …
Le temps avance et , comme nous mêmes aujourd’hui , les enfants et les adultes qui regrettent d’avoir traversé trop petits ces périodes sans avoir eu le temps de les vivre.
La religion était à l’époque le cadre officiel de la vie et réglait le temps … le temps du carême … pas de viande le vendredi … la messe du dimanche … La loi de l’Eglise l’emportait sur toutes les autres . On n’était pas encore arrivés en 1905 !
La vie de l’auteur , est racontée à la troisième personne , et au passé , comme un roman. C’est son roman !
Plus tard , bien plus tard , elle raconte comment elle est devenue prof , sans passer le CAPES tout de suite à cause des « évènements » de mai 68 et comment la religion catholique s’est effacée sans tapage du cadre de la vie …
« Les Années » de Annie Ernaux sont les années qui nous ont construits . Et le grand mérite de l’auteur est de nous les faire revivre en même temps que nous avons le pouvoir d’en rester les témoins , encore pour quelque temps.
« Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire . De la bouche ouverte il ne sortira rien . Ni je , ni moi . La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération »
Marcel COL