L’étymologie maltraitée
par Alain Bandiéra
Nous avons suffisamment, dans notre journal, célébré les combats des femmes à travers l’histoire, nous nous sommes suffisamment réjouis des conquêtes qu’elles ont réalisées contre tous les pouvoirs qui les ont opprimées, pour ne pas être taxés, à cause de cet article, d’intolérance, d’injustice, pour tout dire de misogynie.
Bravo à Simone Veil, bravo à Louise Michel, bravo à Joséphine Baker dont la panthéonisation récente est la plus belle réponse, le plus beau démenti, au racisme, à la xénophobie, à l’humiliation sexuelle dont souffrent les femmes en général, et les femmes de couleur en particulier.
Bravo aussi à toutes les femmes qui aujourd’hui, journalistes, écrivain(e)s, femmes politiques, se battent au risque de leur vie et de leur liberté contre les tyrannies de tous ordre et les tabous des religions qui les condamnent à des rôles subalternes, au silence, à la soumission.
Le respect des hommes et des femmes dont nous nous réclamons est constitutif aussi de la laïcité, qui est notre flambeau. C’est pourquoi nous approuvons tous les choix intimes assumés par les individus qui assument leur différence, en particulier dans le domaine de l’identité sexuelle. A cet égard, les participants à « la manif pour tous », leurs slogans assassins, les relents de pétainisme glorifiant la famille, appartiennent, à nos yeux, aux nouveaux barbares de notre temps ; ils participent à ces « invasions barbares » dont Denis Arcan a fait un film si bouleversant.
Cependant, il nous semble que les initiatives linguistiques qui veulent accompagner ces libertés nouvelles, et ces récentes émancipations, par une syntaxe appropriée, ces initiatives manquent singulièrement de pertinence, et… de sérieux.
Qu’on inscrive dans le vocabulaire français le terme d‘écrivaine, à la place du terme masculin, l’innovation est tout à fait acceptable puisqu’on a de nombreux cas similaires : la châtelaine, les pays lointains et les terres lointaines… Que faire cependant d’une demi-mondaine quand il existe aussi des … demi-mondains ?
Car cette écriture inclusive, défendue par des féministes plutôt forcenées, voir par des linguistes éminents, aboutit à des absurdités, en particulier sur le plan de l’euphonie que la langue protège soigneusement. Allons-nous consulter notre médecine ? Et faut-il enlever le « e » de spécialiste, quand le praticien est un homme ? Le « e » de ministre, le e de juge ? les exemples sont innombrables, et si l’existence d’une boulangère n’a rien à envier au boulanger, que dire alors d ‘une sapeuse-pompière, ou d’une chauffeuse de poids lourds ?
Il y a, dans la volonté d’établir une écriture inclusive, quelque chose qui va à l’encontre de l’universalité. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’affirmer que la femme est une êtresse humaine qui mérite, à ce titre, le respect ; et lorsqu’on affirme que « la femme est un homme comme les autres », on dépasse, sur le mode discret de la boutade, le critère de l’identité sexuelle pour adopter celui dune appartenance universelle. C’est ainsi que ces pratiques langagières risquent d’instaurer de nouveaux communautarismes, d’engendrer de nouvelles discriminations (même si elles se veulent positives), et de mettre en lumière ce qu’elles veulent combattre.
Mais c’est la langue elle-même que l’on maltraite par ces pratiques nouvelles qui relèvent d’un véritable terrorisme. Dans la langue latine, dont est issue notre langue française, la lettre finale « O » marquait le masculin : Homo, et la lettre finale « A » marquait le féminin : Fémina. Cette particularité subsiste intégralement dans l’italien avec les mots uomo et dona. Il se trouve que dans l’évolution du français vers le latin, les lettres finales se sont affaiblies, et le « o » comme le « a » sont devenues « e » et ont donné des mots masculins et féminins indifféremment terminés par un « e ». Le « e » final peut aussi être un appui qui permet la prononciation d’une double consonne, et le « populo » italien est devenu le « peuple » français. Quant au suffixe « eur » auquel les inclusifs veulent absolument ajouter un « e » (après tout une auteure, une professeure…) il faut savoir que le suffixe latin « ora » qui en est l’origine était déjà un féminin ; d’où la fameuse règle des noms féminins en « eur » qui ne prennent pas de « e » ; ajouter un « e » à des mots masculins en « eur » pour les féminiser constitue donc une surcharge étymologique. En bref, le e qui termine un mot français n’est pas la marque obligatoire du féminin, sa manipulation inclusive est complètement artificielle.
Cerise sur le gâteau : l’émergence du nouveau pronom personnel « iel » ; je ne sais pas où ses partisans en ont trouvé l’origine mais l’argumentation qui soutient ce néologisme est parfaitement insensée sur le plan linguistique. « iel » n’est absolument pas identique au « they » anglais, il ne remplit pas un vide pronominal. Il serait tout aussi simple de laisser à la personne concernée le choix du pronom qui la désigne : il pour les transgenres masculins, elle pour les transgenres féminins ; favoriser l’intégration de toutes les situations non conformes, ou ambiguës ne suppose pas qu’on leur attribue un pronom personnel approprié ; on cède alors à la tentation arbitraire d’installer une révolution imbécile qui va couvrir de ridicule ceux à qui on souhaite rendre une dignité sociale ; il est regrettable qu’on mette un outil si insensé au service d’un dessein si généreux.