SUPREMATIE DE L’ACTUALITE
» Candide passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.(…)
Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre… »
VOLTAIRE. « CANDIDE. » Chap.3
Le théâtre de la guerre… Auvergne laïque et l’actualité
Alain Bandiera
Un de nos lecteurs nous a récemment reproché de tourner le dos à l’actualité, d’avoir négligé, dans notre dernier numéro, les manifestations qui se sont multipliées en France contre la réforme des retraites, et ignoré la journée de la femme. Sur ce dernier point, nous avons consacré deux dossiers importants, l’un à quelques grandes femmes de l’histoire – classées au rang des grands hommes – et l’autre à l’aventure des femmes à la conquête du baccalauréat.
C’est l’occasion pour nous de rappeler la vocation de notre journal, Auvergne Laïque, qui, comme son nom l’indique, a pour objectif essentiel la défense de la laïcité.
Ce n’est pas un magazine, même si, dans une rubrique culturelle, il propose l’analyse de quelques livres jugés intéressants et signale quelques manifestations artistiques (théâtrales ou sportives) en relation avec la vie associative de notre département.
Ce n’est surtout pas un journal politique inféodé à une quelconque idéologie ou se réclamant d’un parti. Cependant l’actualité, surtout celle qui embrase le monde aujourd’hui, ne le laisse pas indifférent.
Si nous nous intéressons principalement à la vie associative, c’est qu’elle représente, pour nous, la mise en œuvre même de la démocratie, à l’échelon humain d’une commune, d’un quartier. Mais s’il est un sujet majeur qui nous mobilise, c’est avant tout l’enfant, et tout ce qui s’y consacre dans l’institution, c’est-à-dire l’éducation, l’école, les vacances et leurs loisirs, les activités périscolaires.
Depuis quelques jours, on en appelle beaucoup à l’école pour juguler toutes les agitations de la société et combattre les fanatismes; or, pour la deuxième fois, on assassine un professeur, dans l’enceinte même de son établissement : notre émotion et nos craintes sont immenses devant les menaces qui pèsent sur ce lieu destiné à la formation des enfants, et à leur épanouissement, fondés sur l’acquisition de savoirs, par excellence un lieu de paix dont la raison seule est un des fondements. Ce que nous redoutons par dessus tout, c’est que les valeurs dont l’école se réclame soient mises en échec par toutes les formes de violence qui s’expriment aujourd’hui : nous ne luttons pas à armes égales, et nos projets pacifiques sont frappés d’impuissance.
C’est pour toutes ces raisons que nous nous sentons profondément concernés par l’actualité, mais contrairement à un journal politique, nous n’avons ni la compétence ni la volonté de prendre parti, attitude qui, selon nous, contient souvent le risque d’injustice. Certes nous condamnons les agissements d’un tyran qui par son seul caprice plonge un pays voisin dans les souffrances et les ruines de la guerre ; certes nous n’approuvons pas les terribles exactions des soldats russes mais nous savons aussi qu’un million cinq cent mille russes – essentiellement des familles – ont fui leur pays pour soustraire leur fils à l’enrôlement militaire. Les mères qui tremblent en Ukraine pour la mort de leur enfant, et les mères qui tremblent en Russie sont solidaires au-delà des affrontements, même si l’actualité en fait des ennemies.
Ce que nous retenons de la situation complexe qui ravage le Moyen-Orient, c’est l’horreur des massacres, et l’escalade de la violence qui dresse l’une contre l’autre deux communautés sans cesse animées par la haine et un insatiable désir de vengeance, s’affrontant au nom de différences inconciliables qui attisent d’archaïques guerres de religion.
Les images qui nous arrivent de ces conflits montrent que les champs du « théâtre de la guerre » selon l’ironie indignée de Voltaire sont jonchés de cadavres de femmes, de vieillards, et d’enfants. Ce retour à la barbarie dépasse l’entendement humain, et renouvelle, pour nous, la parabole du massacre des innocents.
Or, la laïcité, dont nous nous réclamons, veut la liberté de tous les êtres humains, contre toutes les formes de soumission et d’oppression, elle veut leur coopération fraternelle, et c’est pourquoi nous attachons tant de prix à la vie associative, elle veut l’égalité et la justice pour tous les citoyennes et tous les citoyens, dans le respect pacifique des différences dont ils pourraient s’enrichir. Même quand le désespoir s’installe, ces utopies méritent d’être inlassablement défendues