Ligue de l’enseignement du Puy-de-Dôme : rapport moral 2023
La diminution du taux d’engagement bénévole associatif depuis la crise sanitaire se confirme. Le proverbe ″A chaque jour suffit sa peine″ est une vérité de tous les jours, mais après le covid et ses conséquences sur le monde associatif, l’inquiétude renaît. Le report de l’âge de départ à la retraite va encore accentuer le risque d’en payer le prix fort. On sait que les seniors jouent un rôle très important dans le bénévolat, notamment dans l’exercice de responsabilités.
C’est un angle mort de la réforme. Des effets collatéraux sont prévisibles car elle va nuire davantage à la vie associative dans le recrutement de nouveaux bénévoles. L’intégration des jeunes retraités constituent toujours le squelette du bénévolat associatif malgré une baisse flagrante de cette population en peu de temps. Une fois libéré de toute activité professionnelle, la liberté de pouvoir prendre en main son projet de vie est essentielle. Cette motivation se traduit fréquemment par la recherche d’un nouveau lien de fraternisation pour éviter l’isolement social.
La diminution du temps libre ne garantit plus la volonté de se rendre utile. Les personnes disponibles aujourd’hui devront attendre quelques années supplémentaires. Encore faut-il que leur envie et leur motivation ne s’érodent pas durant ce préavis prolongé. L’âge est un facteur déterminant. Plus il augmente, plus la frontière du doute grandit.
Les militants âgés qui portent bien souvent les associations à bout de bras, peinent à trouver une relève pérenne. Ce constat interpelle bien évidemment l’ensemble du secteur associatif. Les méthodes de promotion du bénévolat doivent s’adapter à cette tranche d’âge pour insuffler la volonté de transmettre aux générations futures, les valeurs du plaisir d’être ensemble.
« Le plaisir d’être ensemble », slogan ou devise fédératrice, cette simple phrase portée par l’amicale laïque de Châteaugay met en évidence l’essence même de la vie associative, celle du faire ensemble pour le vivre-ensemble. Il n’est pas rare d’entendre parler d’amicales laïques. Depuis leurs apparitions, à la suite de l’appel de la Ligue de l’enseignement de 1894, et particulièrement au moment où fleurit l’école publique laïque, gratuite et obligatoire, certains instituteurs créent ces structures associatives. Elles se développent principalement autour de l’école afin de proposer des activités culturelles, sportives et de loisirs pour les élèves, mais aussi pour ceux qui ne sont plus en âge d’y aller. Des liens avec l’école existent toujours, mais force est de constater que l’éloignement et l’absence de partenariat et d’échange s’accentue. Par contre, ce lien reste très fort par la pratique des activités sportives dans un cadre associatif proposé spécifiquement au sein et en dehors de l’école par le secteur sportif USEP de la Ligue de l’enseignement.
Aujourd’hui, le terme « Amicale Laïque » pourrait évoquer un autre temps, vieillot pour les uns, démodé pour les autres, voire particulièrement poussiéreux. Pourtant, les amicales laïques existent toujours, car elles ont su s’adapter aux exigences imposées par l’évolution sociétale. Pour autant, le risque de devenir un simple prestataire d’activités loin de son sens premier d’émancipation et de formation du citoyen n’est pas exclu. Crainte non-fantasque puisque cette triste réalité ne fait que se confirmer. À la suite d’une prise en main par une nouvelle gouvernance, un grand nombre se sont détournées des valeurs d’origine et fonctionnent dorénavant comme des clubs privés. Pour éviter ce dénouement, il faut impérativement accompagner les dirigeants par la transmission des valeurs, par la formation si nécessaire et revenir aux fondamentaux. Auparavant, on rejoignait l’amicale par engagement nécessairement laïque et on se licenciait à l’UFOLEP si l’on souhaitait faire du sport.
Le monde associatif reste sous-estimé. Les gouvernements successifs le rabattent trop souvent sur une fonction réparatrice. Ils oublient que grâce à cette mobilisation citoyenne, les associations sont fort heureusement au cœur de la vie locale. Elles participent grandement à l’économie sociale et solidaire en dynamisant le territoire, et apportent la cohésion sociale indispensable au sein de la communauté. Par la force des choses, elles réalisent les missions que les collectivités locales ou l’Etat ne peuvent, ou ne veulent pas accomplir, en accomplissant chaque jour leur part dans l’éducation populaire, dans la solidarité, dans la défense de la laïcité, dans l’émancipation par la culture et par le sport.
Même si elles ne possèdent pas une reconnaissance officielle par un décret, les amicales laïques, ainsi que l’ensemble des structures affiliées à la Ligue (exemple : foyers), sont toutes légitimement estampillées d’utilité publique. Comment ne pas reconnaître cette valeur ajoutée au sein d’une société exigeante et individualiste ! Ignorées ou considérées, quel que soit leur espace d’engagement, leurs capacités structurelles ou les mobilisations individuelles, elles rebâtissent les liens sociaux affectés par les mutations profondes de la civilisation. C’est essentiellement grâce à leur pugnacité que nous retrouvons à chaque instant, comme à Châteaugay, « le plaisir d’être ensemble ».
La laïcité est inestimable par son principe et son inscription dans les valeurs républicaines. Dans liberté, il y a responsabilité et nous sommes responsables de la liberté de ceux qui nous entourent. Nous ne sommes jamais satisfaits de la liberté que nous possédons et pourtant, bienheureux ceux qui vivent librement, qui s’expriment librement, qui circulent librement. En réalité, il existe une limite à toute liberté. Un célèbre adage bien connu pose cette limite par : « La liberté des uns, s’arrête là où commence celle des autres ».
La laïcité reste toujours mystérieuse. Un héritage que nous peinons à transmettre. Elle est souvent mal comprise, donc mal transmise jusqu’à faire perdre son sens et son but premier. À force d’instrumentaliser les débats, il est devenu difficile de parler sereinement de ce sujet. Pourtant, la transmission des connaissances et des valeurs de la laïcité est essentielle au vivre-ensemble. Partager les connaissances historiques et juridiques de la laïcité à tous les publics devrait être une priorité de nos dirigeants. La source de l’éducation est à l’école. La transmission du savoir des fondamentaux par l’apprentissage revient naturellement à l’école publique laïque. Elle est dans l’obligation d’assumer sa mission capitale d’instruire et d’éduquer à la laïcité les futurs citoyens afin qu’ils développent un esprit critique, et qu’ils deviennent libres et responsables de leur émancipation.
La Ligue de l’enseignement du Puy-de-Dôme défend et promeut la laïcité sur tout le territoire. Elle poursuit cette mission éducative au sein du centre de vacances « Le Grand Panorama » au bord du Lac Chambon. Très attachée à ce patrimoine acquis en 1970, une histoire s’est forgée au fil du temps dans ce centre au service du tourisme social, des familles et des associations. Les belles années des colonies de vacances ont pu s’épanouir et ont contribué au développement de la structure. Mais ça, c’était avant. L’économie de marché et les réglementations de sécurité brisent tout sentiment nostalgique. Des travaux de plus en plus lourds de mise en réglementation et sécurité des bâtiments sont effectués tous les ans. Les obligations n’en finissent pas et la menace permanente d’interdiction d’exploiter le site ne fléchit pas.
Une simple signature en bas d’une page par un arrêté municipal du Chambon-sur-Lac vient de frapper brutalement la FAL. L’arrêt d’exploitation de l’hébergement dans le bâtiment principal lui a été signifié en pleine période d’activité. Les banderilles plantées au plus mauvais moment font évidemment très mal. On marche sur la tête, car tout semble accompli pour interdire la poursuite de cette histoire locale. L’investissement personnel et remarquable du suivi de ce dossier par notre ami Daniel Chevalier n’est pas récompensé. Son expérience et son implication sont inestimables. Après autant d’énergie dépensée, après la déception de la sentence, impossible d’éviter la colère.
Comment un geste aussi insignifiant au bout des doigts peut produire des conséquences aussi graves et irrémédiables ! La liberté de promouvoir l’éducation populaire au service des vacances pour tous sur ce territoire vient d’être détruite. Les séjours pédagogiques par l’accueil de centaines d’enfants grâce aux classes de découvertes et les vacances apprenantes sont tristement sacrifiés. La fédération est allée au bout de sa capacité financière et n’a plus d’autre choix que la mise en vente du village de vacances. Nul doute qu’en embuscade, quelques prédateurs privés ne s’en réjouissent. Mais le dernier bastion de l’éducation populaire autour de ce magnifique lac va disparaître. Place à la voracité mercantile du monde privé, à moins que des partenaires veuillent investir dans la sauvegarde des valeurs et des missions éducatives qui ont permis à ce centre la construction d’une démarche citoyenne.
Ce rapport moral se démarquera des huit précédents qui m’ont insufflé la volonté d’assumer ma fonction avec honnêteté et plaisir. Il permettra aussi de partager avec tous ceux qui veulent bien le comprendre, les valeurs de mon engagement au sein d’une société devenue complexe et incompréhensible. Pour la première fois, je vais m’exprimer à la première personne. Je me permets cette liberté d’expression, car je suis particulièrement en colère. Une colère contenue, mais une colère incitative à prendre une autre direction par découragement, et après avoir fermé définitivement le livre d’une vie humaine militante que j’affectionne. Devant une décision, on a le pouvoir d’agir ou de rester immobile, et le choix de rester ou de partir. On a toujours le choix devant une épreuve. On possède l’entière liberté de son destin avec nos propres convictions et nos valeurs.
« Soyez comme l’arbre, changer vos feuilles, mais jamais vos racines. Vous pouvez changer vos opinions, mais jamais vos principes ».
Cette citation de Victor Hugo est chargée de vérité. Nos racines font de nous ce que nous sommes. Mes racines fortifient mes principes fondamentaux par une culture différente dans une société différente. La colère a une influence sur le présent. Malgré des années successives ardues, ma liberté de pensée me dicte de rester. Elle me dicte de poursuivre cette odyssée associative, car rien n’est jamais simple, rien n’est jamais facile. Quitter par dépit une équipe d’élus bénévoles passionnés, attachés comme moi à la fédération n’est pas concevable. L’exemple de notre amie Christiane Bernard est indescriptible.
Quitter par dépit des salariés méritants dans leur implication et volontarisme hors du commun face à une adversité pesante serait également irrespectueux. Avec des moyens réduits, ils se battent au quotidien pour la fédération, car ce sont eux les combattants sur le front. Le rapport d’activité en est la preuve et justifie toute la confiance que nous pouvons leur porter. La valorisation du travail effectué par tous les services de la FAL est légitime, car les équipes sont généreuses dans leur volonté de s’identifier à autre chose que des employés.
Le pôle LIEF (Loisirs, interventions éducatives et formations), anciennement ALSH, s’est restructuré afin d’asseoir une organisation plus adaptée à son fonctionnement. L’association FAL devait impérativement se doter d’un outil de rapprochement des associations affiliées. Ce fût fait par la création du service Vie Fédérative permettant ainsi un suivi plus en adéquation des ″Juniors Associations″, dispositif très précieux dans l’accompagnement de jeunes mineurs et de potentiels futurs bénévoles associatifs. En réponse au besoin du terrain, ces changements structurels s’imposent dans la continuité des ambitions de développement.
La colère n’est pas bonne conseillère. La subir aboutirait à une reddition. S’en servir comme levier de motivation consolidera les équipes. Dans toute épreuve, il y a forcément des conséquences négatives et rien n’empêche de les convertir positivement. Ça passe par l’obligation d’ouvrir d’autres portes, d’autres projets inexplorés. Parfois, un bon coup de pied aux fesses ne provoque pas que de la rancune. Il a aussi le mérite de forcer le destin. On m’a toujours dit : ″il n’y pas de problèmes, il n’y a que des solutions″. Le passé ne résoudra rien. Le présent nous appartient. Les problèmes se règlent au présent.
« Le passé c’est bien, mais l’exaltation du présent, c’est une façon de se tenir, un devoir. Dans notre civilisation, on maltraite le présent, on est sans cesse tendu vers ce que l’on voudrait avoir, on ne s’émerveille plus de ce que l’on a. On se plaint de ce que l’on voudrait avoir. Drôle de mentalité ! Se contenter, ce n’est pas péjoratif. Revenir au bonheur de ce que l’on a, c’est un savoir-vivre. » Olivier de Kersauson