Auvergne laïque n° 486 - octobre 2020 / UNE

Simone Veil au Panthéon : grandeur d’une femme

Une récente émission télévisée « à la tribune » qui réunissait Badinter contre la peine de mort, et Simone Veil pour l’interruption volontaire de grossesse a pris une incontestable valeur de symbole. Elle a remis en scène et en mémoire les 2 grandes questions qui depuis longtemps agitent l’humanité, à l’échelon même de la planète. On se souviendra aussi que Marie-Hélène Giraud, condamnée à mort sous le régime de Vichy pour avoir pratiqué 27 avortement fait partie des 3 dernières femmes décapitées en France. A l’heure de son exécution, des milliers de jeunes gens étaient décimés sur les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale.

« Défense d’un projet de loi : le courage et la fureur »

Dans ce nouvel hommage aux « grandes femmes » (voir le texte de Françoise Fernandez, dans notre dossier), nous avons souhaité faire une mention spéciale à Simone Veil et à son combat qui lui a valu autant d’estimes que d’inimitiés.

Il est rare que nous lisions ou écoutions les discours dans leur intégralité et leur connaissance partielle est souvent source de malentendus. Si nous ne publions que des extraits du discours de Simone Veil relatif à la liberté de l’avortement, c’est précisément pour lever toutes les méprises qu’il a suscitées. Nous n’avons pas suivi la chronologie de l’intervention mais publié les remarques dans l’ordre de leur importance.

Intervenant devant « cette assemblée en majorité d’hommes », Simone Veil va développer un immense plaidoyer pour les femmes, la liberté de leur maternité et leur responsabilité. Ses propos se passent de tout commentaire.

Paroles d’une femme

« J’interviens devant vous avec un profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus profond des Françaises et des Français, en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. […]

Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme.

C’est avec la plus grande conviction que je défendrai un projet qui a pour objet de mettre à une situation de désordre et d’injustice et d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps. « Pour quelques-uns, les choses sont simples : il existe une loi ­répressive, il n’y a qu’à l’appliquer. Nul n’ignore que depuis l’origine, et particulièrement depuis le début du siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu’elle n’a été que peu appliquée. […]

Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux? Parce que la ­situation actuelle est mauvaise. Je dirais même qu’elle est déplorable et dramatique.

« Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse, combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient un si grand besoin ? »

« Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer.

Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c’est bien qu’ils s’y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu’ils ne peuvent ­méconnaître. Parce qu’en face d’une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse d’un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l’argent, si elle sait s’informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni ­aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus ­inconscientes. Elles sont 300.000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames.

C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser. »

Propositions et paradoxes

Simone Veil fonde toute son argumentation sur quelques paradoxes particulièrement frappants, ignorés ou largement dénaturés par ses opposants : il ne s’agit pas de favoriser un recours débridé et irresponsable à l’avortement, mais de favoriser toutes les conditions sociales et humaines qui en limitent le recours, et de prévenir toutes les situations de détresse, de solitude et de misère incitant les femmes à des choix dramatiques.

« L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans que la société paraisse l’encourager ? Je voudrais vous faire partager une conviction de femme… Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement (applaudissements). C’est toujours un drame, cela restera toujours un drame. C’est pourquoi si le projet tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler, et autant que possible en dissuader la femme ».

Je voudrais enfin vous dire ceci : je défendrai ce texte… avec toute ma conviction, mais il est vrai que personne ne peut éprouver une satisfaction profonde à défendre un tel texte sur un tel sujet : personne n’a jamais contesté que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame. Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.

L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays…

Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »

Une autre voix pour les femmes

En 1972, deux ans avant ce qu’il faut bien désigner par l’œuvre de Simone Veil, s’est tenu le fracassant procès de Bobigny dont l’accusée, une jeune fille ayant avorté à la suite d’un viol, sera acquittée. Son avocate, Gisèle Halimi, a obtenu l’acquittement au terme d’une plaidoirie particulièrement vigoureuse, en faveur des femmes, contre le viol et, en conséquence, en faveur l’intervention volontaire de grossesse dans des « conditions particulières de détresse », comme Simone Veil le déclarera dans son discours. Au terme du procès, Gisèle Halimi manifeste son enthousiasme – et son espoir : « Ce jugement est quand même un pas irréversible vers un changement de la loi. Monsieur Pleven avait déjà dit qu’il fallait appliquer cette loi avec humanité en ce qui concerne les avortées ».

Cette grande voix s’est tue voilà peu de temps, et des associations féministes demandent son admission au Panthéon afin qu’elle soit, comme Simone Veil, reconnue dans ses combats pour la dignité de la femme.

L’avenir de la loi Veil : une liberté précaire

Comme pour le « mariage pour tous », la loi sur la liberté de l’IVG ne constitue pas un préjudice pour les citoyens qui n’y auraient pas recours : elle n’impose aucune contrainte. Elle s’appuie, comme le dit clairement Simone Veil, sur la responsabilité intime des femmes et des hommes concernés. On aurait tort de croire les opposants désarmés ; fanatiques et extrémistes de tous bords continuent à peupler les rangs des commandos anti-IVG. Dans le reste du monde, le moindre embryon de dictature menace la pratique de l’IVG ; et dans les quartiers pauvres du globe, des femmes et des jeunes filles continuent de mettre au monde, dans des conditions inhumaines, des nouveau-nés, qui viendront grossir les cohortes de miséreux, d’affamés, de chômeurs, ou… de terroristes.

Ou meurent, au terme d’avortements sauvagement commis.

Alain bandiéra

Extraits du texte de Françoise Fernandez sur Simone Veil au Panthéon.