Francine Best : toute une vie
Par Alain Bandiéra.
«Aujourd’hui, nous mesurons la chance
d’avoir connu cette femme remarquable
dont la pensée, comme l’action, sont des références.»
Josiane Lowy
(présidente de la section locale
de la ligue des droits de l’homme
d’Hérouville)
Depuis que je participe à l’élaboration de notre journal, je vais, pour la première fois, écrire à la première personne, ayant toujours considéré que l’action militante était un engagement collectif. Je tiens aujourd’hui à rendre un hommage personnel à une grande dame dont l’amitié fut pour moi un privilège infini , et un immense bonheur auquel sa disparition a mis fin.
Je pourrais sans peine écrire un hommage posthume convenu, évoquant une carrière inlassablement consacrée à l’éducation. Je pourrais énumérer toutes les fonctions qu’elle a assumées et qui furent pour elles autant de missions au service des enfants, et des citoyens . Professeur agrégée de philosophie, elle devient directrice d’école normale, inspectrice pédagogique régionale et enfin inspectrice générale de l’Éducation nationale. Poursuivant toute sa vie un travail de recherche sur l’enseignement et la pédagogie, elle fut vice-présidente de l’institut national de recherche pédagogique à Paris. Conseillère municipale à Hérouville-Saint-Clair, dans le Calvados, elle s’empresse de créer sur sa commune une école Freinet et un collège-lycée expérimental. Je pourrais célébrer sa gloire en rappelant qu’elle fut commandeur de la Légion d’honneur, grand officier dans l'(Ordre national du mérite et chevalier des Palmes académiques.
Bien plus que ses titres, ce sont ses combats – et les valeurs qu’ils illustrent – qui m’ont toujours fasciné. Elle est de toutes les causes humanitaires : secrétaire générale de « France terre d’asile », présidente de la décennie des Nations-Unies pour l’éducation aux droits de l’homme, elle défend ardemment toutes les paroles opprimées, dont la parole des enfants qu’elle veut libre et surtout entendue. Elle rêve par-dessus tout d’instaurer l’école de la fraternité : « ’L’école de la république est ou devrait être une école démocratique où le respect de toute personne, élève, enseignant, personnel de service devrait être la règle. » Dépourvue de toute forme de sectarisme, elle appartient à la lignée des grands hommes de notre histoire, fondateurs de l’école laïque à laquelle elle se consacre et dont elle participe au rayonnement.
C’est dans la lignée de ses combats qu’elle vient 3 fois à Clermont ferrand ; une première fois dans les années 80 au CRDP, où elle présente la réforme Legrand et où elle expose avec conviction la nécessité – et les bienfaits – d’une pédagogie différenciée dans « la gestion de l hétérogénéité folle qui a gagné les collèges depuis 1975 ». Une seconde fois, elle anime, au palais des congrès, une journée sur les droits de l’homme. Enfin, elle est l’invitée du cercle Condorcet où elle traite de la raison chez Kant, son philosophe de prédilection. Ses auditoires sont chaque fois conquis par la richesse de ses interventions, et l’intelligence dont elle éclaire les sujets traités.
Cette grande dame, Francine Best, n’est plus. Ce que je retiens pourtant de cette femme notoire, au-delà de tous ses mérites, c’est une humilité immense, et c’est aussi une bonté exceptionnelle qu’elle savait dispenser, en même temps qu’un indéfectible respect, dans tous ses rapports humains.
Je crois pouvoir dire que tout le charme de Francine Best résidait aussi dans la capacité qu’elle avait de sauver l’enfant qui était en elle, et dont elle défendait la permanence et les droits. Notre rencontre et notre amitié sont nées d’une infraction comme ceux qu’en commettent les adolescents qui désobéissent. Francine Best souffrait d’une grave insuffisance cardiaque (qui lui a cependant laissé une longue vie) et les médecins lui avaient interdit de fumer. Au conseil des programmes où nous nous retrouvions, elle n’avait pas manqué de remarquer que j’étais le seul – et invétéré – fumeur. Aussi, avant chaque réunion m’attendait-elle devant le portail de la rue de Grenelle et elle me demandait une cigarette avec une lueur à la fois coupable et gourmande qui illuminait son regard. Depuis nous nous sommes découvert bien d’autres affinités, et les leçons qu’elle m’a données – sans le moindre dogmatisme – me sont à jamais salutaires.
Mais n’est-ce pas d’avoir risqué sa vie qu’elle mérite largement le titre de combattante ? Professeur de philosophie à Alger, puis à Oran, son activité de militante socialiste, ses positions affirmées contre les abus du colonialisme et en faveur de l’indépendance, lui valent d’être condamnée à mort par l’OAS, épisode qu’elle évoquera – quand on le lui demande – sans peur ni ostentation d’aucune sorte.
Dans les dernières années de sa vie, elle occupait un petit appartement non loin de la place de la République ; bien que provinciale, elle restait très attachée à Paris, et quand je lui rendais visite, l’odeur tenace du tabac était loin de m’importuner. Un soir de novembre, Elle sentit que son cœur lui jouait de mauvais tours et elle décida de ne pas aller dîner dans la brasserie, au coin de la place de la République, où elle prenait la plupart de ses repas. C’était le 13 novembre 2015 : le lendemain matin elle apprenait que la terrasse de « la bonne bière », la brasserie qu’elle fréquentait, avait été la cible des terroristes. Pour la deuxième fois de sa vie, Francine Best échappait à la barbarie, et, à la manière d’une héroïne de tragédie, affrontait les mystères de son destin à travers les aléas de l’histoire.
Cette inestimable amie nous a quittés le 7 avril dernier ; en sa mémoire, en son honneur, il me revient l’hommage de Jean-Paul Sartre rendu à son adversaire, au lendemain de la mort d’Albert Camus, et déclarant « depuis hier, le monde nous est devenu un peu plus silencieux ». Ce silence, cependant, ne parviendra pas à couvrir la grande voix de Francine Best ni la clameur de ses engagements ; le monde s’en est enrichi et ils nous demeurent exemplaires.