Le parti des otages
Par Alain Bandiéra
La laïcité et le droit de grève n’ont apparemment aucun point commun, s’exerçant dans des domaines très différents, et concernant également des sujets et des situations très différents. Pourtant, laïcité et droit de grève ont bien quelque chose à voir avec les libertés des citoyens, que ce soit la liberté du travail ou la liberté de pensée. Dans les deux cas, le citoyen est bel et bien protégé contre les abus de pouvoir, qu’ils soient commis par un pouvoir religieux ou par un patronat qui bafoue les droits (et la dignité) du travail.
Cependant, ni les lois de 1905 – censées rétablir la paix religieuse en France – ni l’alinéa 7 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, date où le droit de vote est pleinement reconnu, n’ont réussi à mettre fin aux polémiques – voire aux affrontement et aux injustices – qui complexifient et continuent de miner l’exercice de ces deux libertés. Et il y a une convergence de manœuvres de la part des cléricaux, du patronat, des partis de droite, mais aussi d’une part importante des citoyens, qui n’ont toujours pas désarmé : on n’en finit pas de produire des amendements et des aménagements, de consentir à des compromis, ouvertement destinés à restreindre les libertés acquises, à rendre les pouvoirs aux césars à qui ils ont été confisqués.
C’est dans le domaine des transports, en particulier, que la grève a très mauvaise réputation et– ce n’est pas seulement une figure de style – très mauvaise presse. Il faut admettre qu’elle inflige aux citoyens (qu’on appelle les usagers) des préjudices notoires (en particulier sur le plan des transports liés à l’activité professionnelle). Les médias ne se privent pas alors de mettre de l’huile sur le feu ; en multipliant les interviews de malheureux usagers bloqués dans une foule compacte qui attend vainement l’arrivée d’une rame de métro ; en publiant les images impressionnantes d’embouteillages gigantesques qui créent un véritable état de siège de la capitale ; aggravant ainsi le discrédit qui pèse sur les grévistes et l’hostilité dont ils sont victimes.
Incontestablement, la loi du 6 août 2019 est le produit de ce mécontentement ; elle donne en effet aux collectivités locales le droit d’ instaurer un service minimum dans certains domaines comme le ramassage des ordures, l’accueil dans les crèches ou la restauration collective. Et même si Les conditions de la mise en place de ce dispositif doivent faire l’objet de discussions avec les organisations syndicales. on peut considérer que cet aménagement porte atteinte au libre exercice et aux objectifs du droit de grève, et surtout à son efficacité.
On peut se demander pourquoi la grève récente des médecins généralistes n’a engendré ni discrédit, ni indignation ; les grévistes réclamaient pourtant que le prix de la consultation soit doublé. La discrétion de la presse sur ce mouvement a sans doute favorisé l’indifférence de l’opinion et le silence du gouvernement.
Emmanuel Macron en tout cas a choisi son camp en prenant ouvertement le parti de ceux qu’on appelle « les otages ». Dans une de ces diatribes dont il est coutumier, il a publiquement condamné les grévistes en conseil des ministres, les accusant de « gâcher les fêtes des Français » et faisant sans vergogne chorus avec les anathèmes de la droite et de l’extême-droite qui fustigent l’irresponsabilité des grévistes.
Une fois encore, le président montre son vrai visage : une argumentation démagogique qui feint de compatir aux malheurs des citoyens, le mépris de ceux qui travaillent (on passe sous silence les motifs d’une grève, conditions de travail, salaires) et surtout la tentation des représailles (pour ne pas dire de la répression) qui pourrait bien être, en fin de compte, et à l’encontre du droit de grève, l’irruption d’un nouveau syndrome, le syndrome de Fourmies.
On a sans doute oublié un film ancien qui raconte la grève des ouvrières dans une usine de textile ; quelques femmes organisent une grève de la faim devant le portail de la manufacture. Une de leur collègue arrive avec un panier de croissants, et affichant une naïveté solidaire, déclare « C’est pas une raison parce qu’on fait une grève de la faim pour pas manger un petit morceau » !
Une grève, comme en rêvent les réactionnaires, avec des ouvriers qui travaillent, des usines qui tournent, des trains qui roulent et des grévistes responsables et de bonne volonté.