Souvenirs et solitude ( Jean Zay – 1942 )
« Mercredi 6 décembre 1940 – Ce soir à 6 heures , le capitaine commandant la prison militaire de Clermont-Ferrand – excellent homme, officier de réserve , épicier en gros dans le civil et assez confus des fonctions inattendues qu’il assume provisoirement – pénètre dans la cellule que j’occupe provisoirement depuis quatre mois et m’annonce :
- « Vous partez cette nuit pour Marseille . Je viens de recevoir l’ordre .
- Pour Marseille ? … Et de là ?
- De là ? Je ne sais pas … »
Ainsi commence le récit de ce qui deviendra le texte mémoriel Jean Zay , ancien ministre de la IIIème République, initiateur au titre de l’Education nationale des trois degrés d’enseignement , de l’unification des programmes, de la prolongation à quatorze ans de l’obligation scolaire, des classes d’orientation , des activités dirigées , des enseignements interdisciplinaires , de la reconnaissance de l’apprentissage , du sport à l’école, des œuvres universitaires, des Beaux-Arts, du CNRS , du Musée des arts et traditions populaires , du Musée d’Art moderne, de la Réunion des théâtres lyriques nationaux, du Festival de Cannes …C’est grâce à Jean Zay et à sa politique que nous pouvons aujourd’hui penser, réfléchir, créer, nous exprimer et vivre … ou presque !
On sait aussi que Jean Zay fut assassiné par la milice de Vichy le 20 juin I944 à Molles, dans l’Allier, non loin de Cusset .
Après un séjour à la prison particulièrement dur , au Fort Saint-Nicolas de Marseille, Jean Zay est transféré à la prison de Riom. ( 7 janvier I941 ) . C’est de cette prison où il restera jusqu’à son assassinat qu’il peut communiquer avec sa famille et qu’il rédigera plusieurs textes dont « Souvenirs et solitude » qu’il fera passer à sa femme , laquelle les diffusera .
De ces souvenirs, le comédien Xavier Béja jouait dernièrement sur la scène du Rexy à Riom (1) cette petite scène que Jean Zay présente ainsi:
« Les journaux racontent que « profitant d’une belle après-midi et pour se donner quelques instants de détente » le Maréchal Pétain effectuait une promenade dans les environs de Vichy lorsque , passant sur une petite route de campagne, il aperçut une quarantaine d’enfants « qui prenaient leurs ébats dans un pré ». Il fit arrêter sa voiture et descendit pour interroger l’instituteur et l’institutrice de l’école primaire du petit hameau de la Bruyère , commune de Saint-Christophe , qui accompagnaient leurs élèves. Il venait d’apprendre de l’instituteur qu’une fois par semaine, les écoliers , guidés par leur maître et leur maîtresse allaient passer l’après-midi aux champs pour prendre contact avec la nature et une leçon de choses » … selon des instructions ministérielles de 1937-1938 prescrites par Jean Zay ! On n’élimine jamais totalement la mémoire !
A propos de la mort de Marguerite Audoux ( Prix Femina I910 ) à la même époque , il écrivait :
« Ne crois pas que les morts soient morts.
Tant qu’il y aura des vivants,
Les morts vivront …»
Dans la suite de ce livre à la fois sympathique et émouvant , l’auteur évoque son amitié avec Léo Lagrange , la mort de Gabriel Péri , le « Journal officiel » qui publie la liste des « hauts dignitaires de la maçonnerie » dès I941, l’évasion du général de Lattre de Tassigny, les « réformes » de M. Carcopino nouveau ministre de l’Education nationale qui décida que seul l’enseignement classique avec latin serait donné dans les lycées …
Le livre s’articule en 11 chapitres , à la fois méditation intime et témoignage historique . On y suit certains des sujets qui ont animé l’auteur : Leo Lagrange ( évidemment ! ch.II ) , Choses et gens du cinéma …Choses et gens du théâtre ( ch.VI ) , Juin I936 et ses réformes ( Ch.VIII ) , Solidarité des captifs ( Ch.X ) Le cent cinquantenaire de la Révolution ( Ch XI ), Le quatrième hiver ( ch.XI )
C’est le portrait d’une personnalité exceptionnelle : homme politique , résistant , écrivain et penseur , d’une immense culture . Il s’ajoute aux milliers de pages rédigées tout au long de son emprisonnement qui ont été rassemblés dans ses Ecrits de Prison ( ed.Belin 2014 ) Sa dernière lettre adressée à sa femme a été lue il y a quelques années devant l’ancienne Maison d’arrêt de Riom.
- L’association AMARIOM qui a pour objectif la réhabilitation de l’ancienne Maison d’arrêt a organisé le 30 mars dernier au Rexy-Théâtre un spectacle de qualité , intitulé : « JEAN ZAY – l’homme complet » (d’après Souvenirs et solitude) avec l’acteur Xavier Béja , devant un public nombreux et chaleureux .
Marcel COL