Mendès France à ses risques et périls
L’aventure patriotique
L’attachement de Mendès France à La Patrie, indépendamment de toute forme de nationalisme, est aussi la marque de la fidélité à sa propre histoire : son père fut en effet lieutenant d’artillerie, pendant la Première Guerre mondiale, sous les ordres de Dreyfus. La patrie, un héritage de 1792, mais aussi de 1914/1918, est une valeur inscrite aussi dans les fondements de la République qui doit susciter une volonté de défendre un territoire, un régime politique et les valeurs qui s’y rattachent.
Dès le milieu des années trente, alors qu’il s’est situé jusque-là, dans l’héritage d’Aristide Briand, il se convainc du risque grandissant de guerre et prend conscience du danger de ce qui se passe en Allemagne. Il sera le seul député à refuser le voter des crédits pour envoyer une délégation française aux JO de Berlin ; il apporte son soutien au plan de réarmement lancé en février 1938 par Léon Blum. Il fait surtout le choix d’un engagement militaire. Dès 1937, il se forme au rôle d’aviateur et devient sous-lieutenant de réserve d’aviation. Le 4 septembre 1939, alors que, parlementaire, rien ne l’y oblige, il demande une affectation à un poste de combat. Il est affecté dans l’aviation à Beyrouth au bataillon de l’air 139. D’abord affecté à l’Etat-Major du colonel Lucien, patron des forces aériennes françaises au Liban, il souhaite passer dans le personnel navigant. Sa demande traîne, et lors d’une permission à Paris en janvier 1940, il tente de faire accélérer les choses ; à la demande du colonel Lucien, il plaide pour que l’on accélère la livraison de matériel volant. A partir de fin janvier 1940, il est affecté à Rayack, près de la frontière avec la Syrie où il suit une formation d’observateur sous les ordres du colonel Le Coq de Kerland. Il obtient son brevet d’observateur le 22 avril 1940. Il demande, en vain à intégrer une unité combattante.
Toujours par patriotisme, il souhaite poursuivre le combat hors des frontières et décide d’embarquer sur le Massilia. C’est vers l’Afrique du Nord qu’il faut aller, son escadrille y ayant été affectée. Ce même jour, est annoncé le transfert en Afrique du Nord du président de la République et du gouvernement conduit par le vice-président du conseil Chautemps. Le gouvernement partirait de Port-Vendres, les parlementaires de Bordeaux, par le Massilia qui doit appareiller le 20. Mendès France décide donc de partir, d’autant qu’on lui annonce qu’il pourra emmener les siens qu’il va récupérer à Jarnac. Il retrouve nombre de ses amis qui, comme lui, ont décidé de poursuivre la guerre : Viénot, Zay, Wiltzer. Les accompagnent Daladier, Mandel, Campinchi, Delbos, Le Troquer. Le bateau appareille le 21. Ce que les passagers ne savent pas, c’est que le gouvernement a opéré un revirement et a décidé de ne pas partir, quelles que soient les clauses de l’armistice, alors en discussion. Le 22, Laval devient vice-président du conseil ; le 23, l’armistice avec l’Allemagne est signé. Pour l’opinion, manipulée par la propagande gouvernementale depuis Bordeaux, les passagers du Massilia sont au mieux des fuyards, voire des déserteurs. Malgré des tergiversations, le navire poursuit sa route et accoste à Casablanca le 21 juin où PMF et ses amis comptent sur Noguès, résident général, pour continuer le combat. Celui-ci choisit son camp, celui de Pétain, et se justifie en affirmant que le gouvernement a été reconnu internationalement, notamment par les Etats-Unis. Le 26, Mandel qui a débarqué, est arrêté. Mendés veut rejoindre son unité à Meknés, mais est bloqué à l’Etat-major à Rabat, sous les ordres de François d’Astier de La Vigerie qui va le « couvrir» autant qu’il le pourra. Le 20 juillet, un journal publie sa photo sous le titre « Déserteur ». Le 26, l’on annonce que Zay, Vienot, Wiltzer et Mendès seront déférés aux tribunaux militaires pour « abandon de poste ». Le 12 août, Jean Zay est arrêté. Le 22, D’Astier, que les milieux antisémites de Rabat appellent désormais « D’Astier de la Juiverie » est relevé de ses fonctions. Pierre Mendes France perd son principal soutien. Le 31, Pierre Mendes France est arrêté, emprisonné à Casablanca. Il est transféré à Clermont-Ferrand où il est mis au secret. Déchu de tous ses mandats électifs en janvier 1941, il riposte par un courrier à Pétain. Trois accusations contre lui : désertion le 10 mai 1940, car il n’aurait pas regagné immédiatement son unité ; désertion le 10 juin, car il ne s’est pas présenté immédiatement à Mérignac, désertion le 20 juin avec l’embarquement sur le Massilia. Le 9 mai 1941, le colonel Legache qui a requis la peine de mort contre De Gaulle et contre Leclerc, préside le tribunal militaire de Clermont-Ferrand ; malgré les témoignages en sa faveur de D’Astier, de Lucien, de Le Coq de Kerland, Pierre Mendes France est condamné à six ans de prison ferme.
Pierre Mendes France s’est senti outragé lorsqu’il fut accusé de désertion en 1940. Il n’a eu de cesse d’obtenir que son innocence soit reconnue par la cour de Riom en 1945 puis d’obtenir sa pleine réhabilitation en 1954. D’où, après son évasion de la prison de Clermont-Ferrand le 21 juin 1941 (la veille de l’invasion de l’URSS), sa volonté de gagner Londres (il a entendu l’appel de De Gaulle le 18 juin). Il y parvient le 1er mai 1942 et y retrouve certains de ses proches, dont Georges Boris. Il est d’abord soucieux d’y rejoindre son unité d’aviation, le groupe Lorraine, qui vient d’être transférée du Proche-Orient. C’est un groupe de bombardement à moyen rayon d’action, qui ne peut aller jusqu’en Allemagne et doit se limiter à des actions au-dessus des Pays-Bas, de la Belgique et de la France. Il participe à une douzaine d’opérations (sur la région de Roissy notamment), certaines sous la direction de son commandant de bord, Romain Gary. C’est pour lui une façon de laver la souillure qu’il a ressenti après l’accusation de désertion portée contre lui.
Donc, un patriotisme inconstatable et revendiqué auquel s’ajoute la défense des valeurs auxquelles il est attaché. Il en ressort chez lui, non une idéalisation de la France comme chez de Gaulle qui la conçoit de façon charnelle, mais une conception intellectualisée d’un pays porteur de progrès et de valeurs universelles. Pour lui, la France doit donc conserver sa pleine souveraineté et il sera toujours très réservé vis-à-vis de toutes les formes de supranationalité. D’où peut-être son attitude lors du vote sur la CED en 1954 (les centristes du MRP ne le lui pardonneront pas), puis son vote contre le traité de Rome en 1957. Dans les deux cas, alors qu’il s’affirme européen et comprend que la France, puissance moyenne, a besoin de se situer dans un ensemble plus grand qu’elle, il marquera son refus, fondé sans doute sur une volonté d’indépendance farouche, mais aussi sur une méfiance vis-à-vis de l’Allemagne et surtout peut-être par le fait que le Royaume-Uni n’est inclus ni dans la CED, ni dans le traité de Rome, alors que lui, PMF, considère, par anglophilie, que l’alliance avec la Grande-Bretagne doit être le pilier de la politique étrangère française.
Aussi précise, aussi détaillée, aussi vivante qu’un documentaire, l’évocation du combattant Mendès France, mobilisé contre l’envahisseur et défenseur de sa patrie, l’évocation de ses combats par Michel Promérat ajoute au portrait politique le visage d’un authentique héros.