ATTENTION A LA MARCHE
Un fait divers a récemment enflammé l’opinion française, suscitant un emballement médiatique trépidant et provoquant, dans quelques grandes villes, des violences et des vandalismes que les forces de l’ordre n’ont pu contenir ni maîtriser : boutiques de petits commerçants saccagés, magasins pillés, voitures incendiées. On est en droit de se demander quelle cause ont servie ces déplorables exactions dont les citoyens font les frais, sinon fortifier les partis extrêmes dans leurs opinons et ressentiments.
Alors qu’il cherchait à se soustraire à un contrôle, un adolescent – à peine sorti de l’enfance – au volant d’une voiture volée, a été tué par la balle d’un pistolet tenu par un policier ; j’emploie à dessein une périphrase pour éviter de jeter de l’huile sur le feu et d’entretenir les polémiques. L’opinion publique se déchaîne et les partis politiques analysent l’événement aux lumières de leurs lignes de pensée, les uns entamant le procès d’une délinquance de couleur issue des banlieues (la victime est d’origine algérienne), les autres condamnant les violences policières et les bavures qui ont déjà entraîné la mort de quelques jeunes garçons ? Dans les relents de mai 63, une hystérie anti-flic s’exprime avec virulence, réclamant la vengeance plus que la justice. Le policier impliqué dans cette triste affaire est immédiatement incarcéré, accusé d’homicide involontaire, mais a été relâché depuis ; il dément farouchement la préméditation du meurtre.
Amnesty-International, qui milite inlassablement contre la peine capitale, plaide à la fois pour les exécuté(e)s et pour leurs bourreaux, les considérant tous victimes d’un système judiciaire qui rétablit la barbarie dans l’attirail de ses sanctions. Il aurait fallu beaucoup de sérénité pour parvenir à considérer le dramatique fait divers selon les analyses de Jean-Marie Domenach, dans un livre passé inaperçu et intitulé « le retour du tragique »; à travers des exemples empruntés à l’histoire, à l’actualité, l’auteur montre comment les événements les plus anodins peuvent brutalement sombrer dans des catastrophes imprévisibles.
Une marche blanche a été organisée à la mémoire de la jeune victime. Des slogans anti-policiers, essentiellement proférés par des femmes, ont retenti tout au long du cortège. En tête, juchée sur la cabine d’un camion, la mère du défunt, vêtue de blanc, distribuait à la foule des baisers, des gestes d’amitié et de connivence : on aurait cru qu’elle conduisait un défilé de chars fleuris.
La mort d’un adolescent demeure un scandale insupportable. Toutefois, l’événement méritait davantage de retenue, davantage de solennité et de recueillement. Et de décence.
alain bandiera