Auvergne laïque n° 492 - décembre 2023 / DOSSIER

« LA FRANCE DE DUNKERQUE à TAMANRASSET »


APRES LA GUERRE

« Plus la guerre d’Algérie s’éloigne,
plus elle apparaît dans sa totalité complexe »
Benjamin STORA « Les passions douloureuses »

         Le 19 mars 2022, Emmanuel Macron commémorait les accords d’Evian,  signés le 18 mars 1962 entre la France et l’Algérie. Cette commémoration est loin de faire l’unanimité, certains considérant encore que ces accords ont marqué la défaite de la France, la trahison de De Gaulle abandonnant l’Algérie au FLN, et surtout le sacrifice inutile de près de 25000 soldats du contingent. Il est une allée du cimetière Saint-Jacques à Clermont dont toutes les tombes qui la bordent sont celles de soldats tombés en Algérie.

         « Mais surtout, je pense que tout ce dont je viens de vous parler n’a rien à voir, au fond, avec l’Algérie d’aujourd’hui, simplement parce que c’est nous, c’est notre histoire, parce que je viens simplement de parler de nos enfants. Ce sont nos enfants qui furent appelés pour se battre….. »

         Trois jours avant leur signature, on déplorait l’assassinat du maire d’Evian, revendiqué par l’OAS, et huit jours après, le 26 mars 1962, éclatait la fusillade de la rue d’Isly qui s’est soldée par une cinquantaine de morts et près de 150 blessés parmi les civils. Ce qui ne constituait pas, pour les accords dits « de paix » un contexte véritablement pacifique. Aujourd’hui encore, les relations  entre la France et l’Algérie ont été souvent « tumultueuses » selon le terme même de Benjamin Stora, et  n’ont pas retrouvé leur sérénité ; comme l’a rappelé le président français dans son discours de commémoration, les séquelles de la guerre, les blessures et les douleurs sont loin d’être apaisées.

         «  Ce ne fut  donc ni le début de la paix ni la fin de la guerre, encore moins la fin de cette histoire dont nous sommes tous les héritiers. Mais ce fut un jalon, la fin du feu, la fin du pire pour tant d’appelés, de soldats. Et donc cette date ne peut ni être la seule, ni être reniée, oubliée, bousculée. ….

         Emmanuel Macron évoque tous ceux pour qui la guerre d’Algérie fut une épreuve demeurée  insurmontable :
         « Parce que vous tous ici, rapatriés, harkis, militaires, appelés, militants pour l’indépendance ou contre l’indépendance, familles de disparus, Juifs d’Algérie et bien plus encore, vos histoires sont toutes incomparables. Elles sont toutes singulières. Elles sont toutes irréductibles. Mais elles sont toutes inextricablement liées. Qu’on le veuille ou non. Et vous l’avez rappelé par vos témoignages, vos épreuves personnelles furent toutes des épreuves de la Nation. Elles ont changé le visage de la France. »

         Et de conclure son discours par la poursuite d’un nécessaire « travail de paix » :
« En cela, le travail que nous devons tous et toutes conduire pour notre histoire, l’histoire de la guerre d’Algérie, l’histoire qui précède comme celle qui suit est essentielle car c’est un travail de paix très profondément. »

         Répondant à une commande présidentielle, l’écrivain  Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie, a présidé une  commission chargée de rassembler toutes les informations susceptibles d’éclairer « les événements », dont beaucoup sont restés dans l’ombre et le silence, et a écrit un livre remarquable intitulé « France-Algérie : les passions douloureuses ».

         Remarquable, parce que Benjamin Stora sort enfin des sentiers battus où se sont forgés tant de clichés sur la base d’un manichéisme idéologique. Les mêmes faits relatés par « le Figaro » et « L’Humanité » sont évoqués de manière parfois radicalement opposée. Avec Benjamin Stora, c’en est fini des bons et des méchants, c’en est fini du discours misérabiliste de la colonisation ou de la diabolisation de l’OAS. Sans pour autant renoncer à ses valeurs et à ses convictions, se gardant bien de trahir Albert Camus, il tente d’extraire l’histoire d’une imagerie partisane, évoquant un malheur partagé par tous et s’appliquant à dégager une vérité, toujours relative dans « le respect obstiné des histoires de chacun »

         « …Il m’a toujours semblé nécessaire de rester attentif à la parole de tous les Algériens, de tous ceux qui ont appartenu à cet espace culturel, politique, à un moment de leur vie, afin d’éviter le piège toujours menaçant de l’enfermement communautaire……. Tout groupe appartenant à cette histoire est spécifique, mais aucun n’est exceptionnel et nul ne doit être placé au-dessus des autres….

         Conformément à la vocation d’Auvergne Laïque (voir notre première page) nous n’entrerons pas dans le débat ni dans la polémique. Nous n’oublions pas que la guerre d’Algérie comporte, comme toutes les guerres, sa cargaison de victimes innocentes. L’Algérie demeure cependant la préoccupation constante des présidents de la République française depuis Jacques Chirac.  Chacun d’eux s’est rendu en Algérie pour prononcer un discours qui  fut toujours une main tendue aux gouvernements algériens  et un appel à une définitive pacification. A partir  du livre de Benjamin Stora, nous publions les extraits significatifs de ces discours. Ils sont émaillés d’une aspiration profonde à l’apaisement et à la réconciliation.

JACQUES CHIRAC

         « Quand le bruit des armes s’est tu depuis longtemps... » le discours de Jacques Chirac se veut « un discours de la mémoire et de la reconnaissance » ; il est  prononcé le 5 décembre 2002 à l’occasion de l’inauguration du Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie  et c’est essentiellement un hommage à tous les combattants des guerres d’Afrique du Nord :

         « soldats de métier, combattants volontaires, Français musulmans engagés dans les forces supplétives, appelés et rappelés du contingent : tous ont connu les  mêmes épreuves….

Près d’un million et demi d’appelés et de rappelés ont participé à la guerre d’Algérie.. Ces hommes jeunes, grandis à l’ombre de la Deuxième Guerre mondiale dont ils avaient enduré les souffrances, ont, à l’orée de leur vie adulte, connu l’épreuve d’une autre guerre….

De retour en France, beaucoup qui avaient servi avec honneur, ont porté seul le poids de cette guerre dont on ne parlait pas… »

         Un ardent hommage est rendu également aux harkis, mais le silence est fait sur les persécutions dont ils ont été victimes, et l’accueil que la France leur a d’abord réservé :

         « Les Harkis, qui ont tant donné à notre pays, ont également payé un très lourd tribut. A eux, à leur honneur de soldats à leurs enfants qui doivent trouver toute leur place dans notre pays, la France adresse aujourd’hui un message tout particulier d’estime, de gratitude et d’amitié ».

         Toutefois, la « gratitude » du président ne parviendra pas à éteindre le ressentiment tenace éprouvé par ces Algériens sacrifiés et par leurs enfants qui n’ont pas renoncé à exiger leurs droits.

NICOLAS SARKOZY                                                                                                                                                                                                                                                               L Le 5 décembre 2007, Nicolas SARKOZY s’adresse, à Constantine, aux étudiants algériens.

         Comme Jacques Chirac, comme le fera François Hollande, le président Sarkozy évoque les souffrances provoquées par la guerre d’Algérie, les violences qui ont bouleversé Constantine, et n’hésite pas à faire le procès de la colonisation, peut-être sous l’impulsion d’une mauvaise conscience que d’autres Français n’ont pas obligatoirement partagée :
         « le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui submergea Constantine et toute sa région, et tua tant d’innocents, étaient le produit de l’injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligée au peuple algérien ».

         Mais la singularité du discours de Sarkozy, outre une certaine emphase qu’on ne trouve pas dans les autres discours, c’est l’hommage ouvertement rendu à la religion musulmane, et une diatribe sévère prononcée contre l’islamophobie.

         « Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers de votre pays et que vous pouvez être fiers d’être des jeunes musulmans parce que la civilisation musulmane est une grande civilisation. Je suis venu vous dire que le peuple français vous aime et que le peuple français vous respecte »

         Il y a sans doute une part de stratégie dans les déclarations du président qui veut tempérer l’émergence d’un climat hostile engendré  par les attentats, et il affiche, conformément aux slogans en vigueur, son refus des « amalgames » :
         « Je ne veux pas d’un amalgame entre l’Islam et les terroristes, je ne veux pas d’un amalgame entre l’Islam et les fanatiques….Au nom de la France laïque et républicaine, je veux dire à des centaines de millions de musulmans que leur foi, que les valeurs de la civilisation dont ils sont les dépositaires peuvent être une chance pour le monde.
.. ce combat d’un islam ouvert, d’un Islam des Lumières est un combat pour tous les hommes, un combat pour l’humanité ».

         Au-delà d’un appel à la réconciliation, Nicolas Sarkozy propose – toujours avec beaucoup de lyrisme – une union entre « tous les peuples de la Méditerranée » :
         « Je lance un appel entre tous les peuples de la Méditerranée pour qu’ils s’unissent et que dans cette union ils mettent toutes leurs forces et toute leur énergie au lieu de les mettre à se combattre et à se détester. Il n’y a pas d »avenir dans la haine. Vous, jeunes d’Algérie, faites vôtre ce grand rêve méditerranéen de fraternité ; Vous changerez l’Algérie, vous changerez le monde ».

         L’actualité, avec son lot de violences, la barbarie qui fond sur le monde d’aujourd’hui, frappe de vacuité l’optimisme du président français et accuse l’impuissance des mots.

FRANCOIS HOLLANDE

         Prononcé devant le mémorial de la Guerre d’Algérie, le 19 mars 2016, le discoure de François Hollande  est d’abord un appel à « honorer toutes les douleurs et à reconnaître toutes les souffrances » En dégageant les significations diverses du 19 mars 1962, Le président met en évidence la complexité de la guerre d’Algérie déjà soulignée par Benjamin  Stora :

         « il y a le 19 mars des Algériens qui se sont battus pour l’indépendance de leur pays…
         Il y a le 19 mars des appelés qui venaient d’effectuer parfois plus de 2  ans de service en Algérie….
         Il y a le 19 mars de l’Armée Française qui voyait s’achever une guerre qui l’avait profondément déchirée
         il y a le 19 mars des Français d’Algérie qui se souviennent de cette date comme d’un jour de détresse…
         Il y a le 19 mars des harkis pour lesquels le cessez-le-feu était lourd de menaces et qui ont été dramatiquement abandonnés par la France…..
         Il y a le 19 mars des Français de métropole qui ont vécu au rythme des troubles pendant huit ans….

         François Hollande souligne la nécessité de faire la « paix des mémoires » :
         Ces mémoires demeurent encore vives. Derrière chacune d’elles, il y a une famille, il y a des survivants, il y a des descendants, il y a une plaie qui ne s’est jamais refermée.
         Alimenter la guerre des mémoires, c’est rester prisonnier du passé ; faire la paix des mémoires, c’est regarder l’avenir ».

         Et de terminer son discours par un appel à l’union et au rassemblement pacifiques.

+ + +

          Pourquoi est-ce si difficile de tourner la page de la guerre d’Algérie alors que les relations entre la France et l’Allemagne  sont totalement pacifiées, malgré  les conflits qui les ont opposés ? Aujourd’hui, les acteurs de la  « guerre sans nom »(1) meurent un par un : certains sont restés toute leur vie taciturnes au sujet  d’une guerre qu’ils avaient faite à leur corps défendant, forcés de côtoyer les dépouilles de leurs camarades terrassés. Il ne restera bientôt plus que des  livres innombrables, des documentaires et des films, dont ceux de René Vautier, farouchement  anticolonialistes et qui rappelleront aux jeunes générations combien il était terrible d’ « Avoir vingt ans dans les Aurès » (2). La ville de Gannat a inauguré une immense plaque portant les noms de tous les soldats d’Auvergne tués pendant les guerres d’Afrique du nord : la liste est impressionnante, et rappelle ces listes interminables gravées dans la pierre des monuments érigés après la Grande Guerre,  dont on disait qu’elle serait la dernière.

1 « la guerre sans nom » film de Bertrant Tavernier

2 (é) Avoir 20 ans dans les Aurès » film de René Vautier

Alain Bandiera