Les attaques contre le coeur de la loi 1905
D’après Robert Duguet publié par Médiapart
Dans son récent discours aux évêques, Emmanuel Macron – proposant de « réparer le lien abîmé entre l’Eglise et la République, a repris le fil d’attaques contre la loi de 1905.
Or, la loi de 1905, c’est le pacte social qui a permis que la citoyenneté l’emporte sur les appartenances communautaires, le droit de croire ou de ne pas croire à une vérité révélée, de pratiquer la religion de son choix dans le cadre d’une liberté d’ordre privé : la république ne se soucie pas des opinions de ses citoyens. La liberté absolue de conscience proclamée dans l’article 1 de la loi a pour conséquence, dans l’article 2 ; le fait que la république ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Suivront une série de dispositions qui mettent fin au régime concordataire et qui concernent l’aide matérielle que l’État républicain apportait à la hiérarchie catholique. L’État fait alors obligation à l’Eglise de constituer des associations « cultuelles » pour gérer son patrimoine , associations qui ne recevront aucune subvention des collectivités publiques.
Dans la période récente, sous les régimes de droite et de gauche de la Vème république, que toutes sortes de ruses administratives ont été inventées pour remettre en cause le régime libéral de séparation : par exemple pousser à la constitution d’associations «culturelles», en lieu et place d’associations «cultuelles», pour permettre la subvention publique. Ou encore accorder des baux emphytéotiques aux représentants d’un culte qui leur permettent d’avoir la jouissance d’un terrain pour 33 ans renouvelable.
C’est la deuxième fois qu’une polémique enfle lorsque la hiérarchie catholique offre le titre honorifique de chanoine du Latran au président de la République en exercice.
Traditionnellement tous les présidents de la Vème République depuis Charles De Gaulle, ont accepté le titre mais tous ne se sont pas rendus dans la basilique du Latran pour la cérémonie. Ce titre, qui date de 1460, constitue historiquement d’un acte d’allégeance de la monarchie de droit divin à l’église catholique : la France est sa fille aînée, selon la formule utilisée par l’église. Rompus sous la Révolution, négligés par les gouvernements républicains, ces liens entrent à nouveau en vigueur en 1957 sous la présidence de René Coty. En 1948 sous un gouvernement de la IVème république où sont présents des ministres MRP, la première attaque contre la laïcité avait été portée par le décret Poinso-Chapuis.
Ce décret du 22 mai 1948 subventionne les associations dirigeant des écoles confessionnelles pour les familles de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais n’ayant pas les moyens de financer l’éducation de leurs enfants dans les écoles confessionnelles. La SFIO membre du gouvernement s’oppose à ce décret, au nom de la laïcité ; Germaine Poinso-Chapuis est contrainte à la démission mais le décret s’applique. (Pour la toute petite histoire, lors du vote, un certain François Mitterrand s’esquive discrètement pour ne pas être obligé de se prononcer).
Le 20 janvier 1996, dans son allocution à Latran, Jacques Chirac tient ces propos sur les liens entre l’Eglise et l’Etat :« Ma présence se veut aussi, Eminence, le gage de relations fécondes, de relations à poursuivre et nourrir entre la France et le Saint-Siège en même temps qu’entre l’Église et l’État. L’indispensable dialogue, pour difficile voire douloureux qu’il ait pu être dans l’Histoire, ne s’est jamais rompu. A l’épreuve de notre république laïque, les catholiques de France savent désormais pouvoir vivre en citoyens sans rien renier de leur foi. Mieux, ils ont la conviction d’apporter leur pleine et généreuse contribution à la communauté nationale. Ils s’y emploient avec passion et avec loyauté. »
Effectivement la République laïque n’a jamais demandé aux citoyens de renier leur foi religieuse : ils peuvent librement la manifester, pour autant que son expression ne s’oppose pas aux règles de vie commune.
Le mitterrandisme… une douce obstination jésuitique ! Le financement public partiel de la cathédrale d’Evry(1) une rupture historique de la loi de 1905
Depuis 1905 il ne s’était pas construit de cathédrales en France. Sous le gouvernement présidé par François Mitterrand, Jack Lang (2) étant ministre de la culture, l’Etat, en contournant la loi de 1905 a accordé un demi-milliard de francs à la construction de cet édifice, sous couvert d’aide à un musée d’art sacré attenant au local de l’édifice.
Avec cette affaire la porte a été largement ouverte aux représentants des autres cultes pour qu’ils sollicitent les collectivités publiques et obtiennent, à leur tour des subventions par le biais de détournements de la loi de 1905.
Le financement public des religions est incompatible avec la loi de 1905
Le concordat abrogé de fait par la loi de 1905 resurgit avec le coup d’Etat bonapartiste de De Gaulle en 1958 : l’aide à l’enseignement privé catholique depuis la loi Debré de 1962 consacrera un accord entre le trône du monarque « républicain » et l’autel. Tous les gouvernements de la Vème république le défendront et l’amplifieront, au mépris de la loi de 1905. Le bonapartisme a besoin d’une « gendarmerie spirituelle », pour reprendre le mot de Marx. Apparemment, Macron veut prolonger le concordat gaulliste, mais la palme d’or du reniement revient aux gouvernements de François Mitterrand, singulièrement celui issu de la présidentielle de 1981 : la loi Savary d’unification des services publics et privés catholiques posait dans son préambule un principe : la religion concourt au service public. Si la loi Savary n’a pas pu s’appliquer jusqu’au bout, compte tenu des germes de guerre civile qu’elle générait dans le pays, les gouvernements de droite ou de gauche qui ont suivi n’ont fait qu’en reprendre la logique profonde. La question des départements sous statuts d’exception, Alsace et Moselle, législation héritée de l’occupation allemande dans l’héritage de Bismarck, revient régulièrement dans le débat public. Michel Rocard avait fait cette proposition ultra réactionnaire, avec ses affidés de la centrale CFDT, de généraliser le concordat à tout le territoire républicain… les néo-socialistes vont jusqu’au bout de la liquidation!
C’est le 20 janvier 2007 que le président Sarkozy reprend à son compte le concept de « laïcité positive » défendu par le pape Benoit XVI. Il développe largement l’idée que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes », tournant le dos de ce fait à l’héritage de la philosophie des Lumières. Il déchaîne les protestations avec sa fameuse formule : »Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. » A l’époque, Jean-Luc Mélenchon mène l’offensive contre cette volonté de tourner la page de la loi de 1905. Il y dénonce le ralliement de Nicolas Sarkozy aux thèses de l’extrême droite américaine et de son idéologue en titre Samuel Huntington.
Quant à Macron il fait encore mieux ; il affirme que : « La religion est partout dans la société. Nous avons anthropologiquement, ontologiquement, métaphysiquement besoin de la religion.» Ceci est un complément réactionnaire au discours tenu le 9 avril 2018 devant les évêques de France au Collège des Bernardins, où il se propose de réparer « le lien abîmé entre l’Église et la République…» Dans l’Europe néo-libérale, avec l’héritage des lois laïques et la séparation de 1905, la France est encore ce vilain petit canard qu’il faut mettre au pas. Macron appelle à son secours le vieux parti clérical, qui est toujours gavé de subventions publiques, pour que ses ouailles viennent à ses côtés : « Ne renoncez pas à cette Europe dont vous avez nourri le sens ; ne laissez pas en friche les terres que vous avez ensemencé. » Il rappelle là les véritables origines cléricales et vaticanes de l’Union Européenne, ses traités fondés sur le principe de subsidiarité et son drapeau étoilé, symbole du culte marial.
Notes
(1) Cathédrale d’Evry : Sa construction est commencée en 1992 et se termine en 1995, puis elle reçoit la consécration de Jean Paul 2, le pape de l’Opus Dei, en 1997.
(2) Jack Lang : ministre de la culture de mai 1981 à mars 1986, puis de mai 1988 à mars 1993. C’est durant son second ministère qu’a eu lieu le financement de la cathédrale.